Le prix du sang
pénétrer un peu le vagin avant de se répandre à grands jets. Son poids coupait toujours la respiration de son épouse et son souffle sur son visage lâamenait à tourner la tête vers le mur. à tout le moins, cela ne durait pas plus de deux minutes.
* * *
Les nouveaux époux obéissaient à une routine en voie de se cristalliser. Au terme dâune soirée ennuyeuse dans le grand salon familial, après un passage dans la salle dâeau attenante, Eugénie revenait dans la chambre vêtue de sa robe de nuit blanche, sâétendait sous les couvertures avant de se trousser et dâécarter les cuisses. Dans le meilleur des cas, les jours de bonne humeur, elle commentait les événements récents : la hausse du prix du pain ou le froid devenu plus vif. Lors de moments plus moroses, lâoffre de son entrejambe requérait le silence. Toutes les lumières devaient toujours demeurer fermées et le drap, tiré sur son corps.
Honteux, coupable même de la robustesse de son désir, Fernand sâagitait un court moment en ahanant, tentait sans trop de succès de ne pas écraser sa conjointe sous son poids, puis regagnait sa place après un orgasme discret.
Au cours des dernières semaines, le rituel se complétait dâune double tromperie. Eugénie se tournait sur le côté droit, dos à son époux, pour simuler la venue rapide du sommeil. Après quelques minutes, lâhomme feignait de la croire endormie. Avec précaution, afin de ne pas la « réveiller », il se relevait, endossait un peignoir, puis regagnait le rez-de-chaussée. Le vieil escalier craquait bien un peu sous son poids. Si ses parents entendaient, tous deux faisaient mine de rien.
Familier avec chaque recoin de la vieille maison, Fernand arrivait à ouvrir le cabinet où son père rangeait les alcools, prenait une bouteille de whisky et se versait une rasade dans un verre retrouvé à tâtons. Ce soir-là , debout devant une fenêtre du salon, il contempla la neige follette transportée par les grands vents glacés de décembre. Bientôt, la Haute-Ville retrouverait sa gangue froide et blanche.
Un pas léger le fit se retourner. Ses yeux, habitués à la pénombre, distinguèrent une ombre noire.
â ⦠Jâai soif, expliqua Jeanne face à lâinterrogation muette.
Logés sous les combles, les domestiques devaient tout de même utiliser la salle dâeau du rez-de-chaussée et sâabreuver au robinet de la cuisine.
â Voulez-vous que je vous verse quelque chose?
Lâoffre trahissait la profonde solitude de lâhomme. Ce genre de proposition, adressée à la bonne de sa femme de surcroît, laissa celle-ci bouche bée.
â ⦠Non, merci. Je veux juste de lâeauâ¦
Vouloir autre chose la rendrait passible dâun renvoi immédiat.
â Si vous souhaitez vous arrêter un moment, avant de remonter⦠jâen serais heureux.
Lâobscurité lui déroba lâhésitation sur le visage féminin, puis le bref hochement de la tête. Lâombre sâestompa, le bruit de lâeau dans lâévier se fit bientôt entendre. Fernand quitta son poste dâobservation près de la fenêtre pour regagner son fauteuil habituel. Quand la silhouette se matérialisa dans lâembrasure de la porte, il murmura :
â Assoyez-vous sur le canapé.
Après un long moment, elle obtempéra. Jeanne portait son seul uniforme noir. Sans le tablier et la coiffe blanche lourdement amidonnés, elle prenait une humanité nouvelle : la personne supplantait la fonction aux yeux de son interlocuteur.
â Je nâarrivais pas à dormir, se crut obligé dâexpliquer le fils de la maison.
â Cela vous arrive souvent, je crois.
Elle vit le corps massif se tourner dans sa direction et devina le regard interrogateur.
â Je vous entends, parfois. Le matin, je ramasse votre verre pour aller le laver dans la cuisine.
Le ton devenait conspirateur, comme si les parents du grand garçon devaient ignorer sa consommation dâalcool en solitaire.
â Jâai aussi du mal à dormir, confessa-t-elle. Cela doit tenir au trop grand silence dans cette maison.
Lâaffirmation se révélait à la fois vraie et fausse. La nuit, le domicile des Picard se révélait tout aussi
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