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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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n’intéresse personne.
    â€” Vieille fille! Quelle expression idiote!
    Ils longèrent la grande église pour rejoindre la côte de la Montagne. Dès la place Royale, les badauds s’entassaient au coude à coude. Se rendre sur les quais prit quelques minutes et de multiples « Excusez-nous, s’il vous plaît ». Rue Saint-Pierre, ils s’arrêtèrent un moment pour contempler un régiment marchant au pas, havresac au dos et fusil sur l’épaule. Il tournait à angle droit pour se diriger vers les quais.
    â€” On dirait une machine, dit l’adolescente.
    Les pieds se posant à l’unisson sur le pavé produisaient un bruit lancinant, régulier, mécanique. Les uniformes, tous semblables, effaçaient en quelque sorte les tailles, les gabarits et les traits individuels pour donner une impression d’unité. Des officiers criaient des ordres en anglais. Sur les trottoirs, certains hurlaient des encouragements, les plus enthousiastes clamant : « Tuez tous ces sales Boches! » La plupart se contentaient toutefois de regarder en silence ou communiquaient leurs impressions à l’oreille de leur voisin.
    La majorité de ces soldats venaient de la base de Valcartier, et les autres arrivaient de l’intérieur du pays dans des trains spéciaux. Ce jour-là, trente-deux mille Canadiens débutaient un long périple vers les champs de bataille de Belgique et de l’est de la France.
    â€” Pourquoi prennent-ils ces traversiers? interrogea Thalie.
    â€” Pour aller à Lévis.
    â€” Tout de même, je sais cela!
    Mathieu lui adressa un sourire avant de continuer.
    â€” Tout le contingent se dirige vers Halifax dans des trains de l’Intercolonial. Ils embarqueront là-bas en direction du Royaume-Uni. Des navires de guerre britanniques les escorteront tout le long du trajet, pour assurer leur protection.
    â€” Ils risquent de se faire attaquer?
    â€” Bien sûr. Si les Allemands coulent un transporteur de troupes, imagine le nombre de soldats éliminés d’un coup.
    Le frère et la sœur profitèrent du retard d’un escadron pour traverser la rue et s’approcher des quais. Les soldats rompaient les rangs en franchissant la passerelle du traversier leur étant désigné pour embarquer dans une certaine pagaille. Ces hommes paraissaient surexcités, comme des vacanciers au départ d’une destination lointaine, ou mieux, une équipe sportive en route pour un match important. La mort promise à certains d’entre eux ajoutait à cet état d’esprit.
    Parce qu’ils s’avançaient un peu trop près des recrues, un membre de la police militaire se dirigea vers eux, peu amène.
    â€” Fils, prononça-t-il en anglais, si cela t’intéresse autant, monte à bord avec les autres. On te trouvera certainement un uniforme et un fusil pendant le voyage.
    Comme Mathieu était trop intimidé pour répondre, Thalie utilisa ses récents apprentissages linguistiques pour rétorquer:
    â€” Mon frère est trop jeune, monsieur.
    â€” Jeune, lui?
    Le militaire présentait un visage sceptique. Le garçon s’avérait aussi grand que lui.
    â€” Dix-sept ans.
    Certains volontaires mentaient sur leur âge pour s’engager aussi jeunes qu’à quinze ans auprès de recruteurs disposés à fermer les yeux. L’homme grommela quelques jurons, puis conclut :
    â€” Reviens nous voir l’an prochain. En attendant, reculez tous les deux.
    Pour se faire plus convaincant, il appuya le bout de sa matraque contre la poitrine du garçon. Quelques instants plus tard, revenus près de la rue Saint-Pierre, ils entendirent à nouveau quelqu’un hurler :
    â€” Tuez tous ces sales Allemands!
    Thalie posa les yeux sur son frère avant d’affirmer :
    â€” Je suppose qu’à Berlin, quelqu’un crie la même chose.
    â€” Certainement. En conséquence, des gens qui n’ont rien les uns contre les autres vont se tirer dessus à la frontière belge.
    Ce morceau de philosophie se perdit dans le bruit des bottines frappant les pavés. Un peu après midi, les deux jeunes gens reprirent le chemin de la Haute-Ville. Au moment de retrouver la rue de la Fabrique, l’adolescente demanda :
    â€” C’est vrai que les Canadiens français ne s’enrôlent pas dans

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