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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fois en chauffeur de maître afin de conduire les nouveaux mariés à la gare. Soucieux de jouer son rôle jusqu’au bout, il insista pour porter lui-même les deux valises sur le quai. Devant la porte d’un wagon de première classe, Fernand déclara :
    â€” Nous pouvons nous débrouiller, maintenant.
    â€” Je peux les placer dans le compartiment…
    Le jeune homme hésita, posa finalement les bagages par terre et tendit la main pour prononcer d’une voix émue :
    â€” Je te souhaite bonne chance. Sincèrement.
    Le nouveau marié accepta de la serrer et répondit :
    â€” Je te remercie, Édouard.
    Puis, le frère et la sœur échangèrent un regard interminable. À la fin, mal à l’aise, Fernand s’empara des deux valises en disant :
    â€” Bon, je comprends. Je vous laisse à votre tête-à-tête fraternel.
    Un moment plus tard, il disparut dans le grand wagon. Le silence se prolongea un peu, puis Édouard murmura :
    â€” J’espère que tu seras heureuse.
    â€” Je ne suis pas certaine d’avoir une bien grande aptitude pour le bonheur.
    â€” … Cela s’apprend peut-être.
    Elle détourna les yeux un moment et porta le bout de ses doigts gantés sous ses yeux pour effacer ses larmes. Son frère l’attira maladroitement contre lui et souffla dans son oreille :
    â€” J’ai peur que cette nouvelle trouvaille pour quitter la maison te fasse aussi mal que la première.
    â€” Cela ne pouvait plus durer, tu le sais aussi bien que moi. Malgré ce que tu m’as confié alors… elle me paraît toujours responsable.
    Au moins, Eugénie ne portait plus d’accusation de meurtre. Tout au plus, dans son esprit tourmenté, elle s’imaginait que l’idylle entre son père et la préceptrice avait hâté le délabrement de la santé de sa mère.
    â€” Mais tu ne l’aimes pas, continua Édouard en se reculant afin de voir ses yeux.
    â€” Il m’aime pour deux.
    Le jeune homme trouva inutile de donner son opinion sur ce genre de mathématique. Les mains posées de part et d’autre du petit visage, il donna une première bise sur la joue gauche.
    â€” Tâche d’être au moins un peu heureuse, petite impératrice.
    Puis, ses lèvres se posèrent légèrement sur la joue droite.
    * * *
    Dans la bonne société, le voyage de noces s’imposait dans les usages. Les mieux nantis s’embarquaient vers l’Europe. Fernand Dupire pouvait s’autoriser une dépense aussi somptuaire… quoique cela lui paraissait une façon bien imprudente de gaspiller de l’argent. Toutefois, la guerre rendait impossible un projet de ce genre. Quelques jours à New York, espérait-il, favoriserait tout autant un passage harmonieux de la vie de célibataire à celle d’homme marié.
    Plutôt que de passer sa nuit de noces dans le cadre étroit d’une cabine de wagon-lit, la corpulence de l’homme rendant l’exercice difficile, le couple se retrouva au Château Windsor , à Montréal, en milieu de soirée. Quand, au comptoir, le commis trouva la réservation au nom de Mr. and Mrs. Dupire
    â€“ sa prononciation permettait à peine de reconnaître le patronyme – Eugénie eut une crampe à l’estomac.
    Dans la chambre, les valises à peine posées sur un banc prévu à cet effet, le jeune mariée commença par proposer :
    â€” Descendons à la salle à manger. Il est un peu tard pour souper, mais on pourra nous servir quelque chose de léger.
    â€” Après cette journée, je n’ai pas très faim.
    Elle se retint de lui proposer d’y aller seul. L’épousée ne pouvait se dérober à son premier repas en tête-à-tête avec l’élu de son cœur, de cela elle était certaine.
    â€” Mais si tu veux faire monter un repas à la chambre, j’accepterais un potage.
    La gêne affichée depuis le matin ne s’estompait pas. Leur premier baiser, très chaste, remontait à un peu moins d’un mois. Les suivants n’avaient donné lieu à aucun débordement de passion. Puis, tout d’un coup, la simple bénédiction d’un curé les autorisait à se retrouver sans transition dans une chambre à coucher. Au moment de décrocher le téléphone afin de

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