Le prix du secret
nous entourer de précautions et espérer que tout ira bien. Lesquels de ces petits objets risquerons-nous ?
Je fis appel à mon sens pratique.
— Le nécessaire de toilette et deux des figurines.
Je les mis de côté et entrepris de ranger les autres articles dans leur sac. Je remarquai alors que mon compagnon m’observait à la dérobée, d’une curieuse manière.
— Qu’y a-t-il, messire Jenkinson ?
— C’est donc bien vrai, vous servez d’agent à Cecil ?
— Oui, confirmai-je en enveloppant avec tendresse une tourelle d’or. Mais je vous en prie, gardez le secret.
— Cela va sans dire. Néanmoins… Ce n’est pas bien. Pas pour une femme comme vous, déclara Jenkinson, soudain grave.
Il s’assit sur ses talons et me contempla d’un air appréciateur.
— Vous êtes belle, vous savez. Pas à la manière voluptueuse d’une fille de salle, toutefois… On dit que la reine Élisabeth possède le charme d’une fée. Elle m’a reçu en audience un jour, et je sais ce que cela signifie. Je retrouve en vous aussi un charme irréel : des cheveux noirs comme la nuit, des yeux qui passent du vert au brun… Oui, il émane de vous quelque chose de magique.
— Je n’ai rien de magique. Je m’efforce au mieux de subvenir à mes besoins et à ceux de ma fille, voilà tout.
— Combien d’autres jeunes femmes dans votre situation agiraient de la sorte ? Vous êtes imprévisible. Vous ressemblez à un joli petit chat noir, tout doux et ronronnant ; puis, l’instant d’après, des griffes acérées jaillissent de la fourrure et vos yeux brillent de colère. J’étais là quand vous avez flanqué un seau d’eau sur un gaillard de votre escorte, au Cheval d’or ! Et maintenant, vous sortez des crochets de votre poche ! En un sens, cela accroît votre séduction, mais cet attrait est comme celui de la magie noire. Ma très chère Ursula – car vous m’êtes devenue très chère, bien que je sois profondément attaché à ma femme, dont j’ai été séparé, sans doute, trop longtemps –, ma douce Ursula, les griffes sont naturelles chez un chat, mais les crochets et les rixes dans les cours d’auberge le sont-ils pour vous ? Jusqu’à présent, ils n’ont pas altéré votre beauté, mais cela arrivera peut-être un jour. En avez-vous conscience ?
— Oui, admis-je tristement.
Si je n’avais donné du poison à un homme, Brockley n’aurait jamais songé à en emporter en France ; alors Dale n’eût pas été arrêtée, et je ne serais pas, à cet instant, à genoux dans un entrepôt d’Anvers, remballant un trésor tout en tremblant de peur.
— Je crois que j’y ai déjà perdu un peu de mon âme.
— Alors, changez de vie ! Vous avez un mari. Retournez à lui. Ou, si cela vous est impossible, trouvez un moyen de vous libérer et prenez un autre époux. J’ai de l’expérience, dame Blanchard – ou de la Roche. Mon conseil mérite d’être écouté.
— Brockley me tient le même raisonnement.
— Il ne manque pas de sagesse. C’est à un homme comme lui que vous devriez être mariée, lâcha-t-il contre toute attente.
— Oh, vraiment !
— Je sais bien, c’est votre valet. Mais des hommes de sa trempe existent aussi parmi les gens de qualité. Je n’en dirai pas plus. Pour le moment, il faut sortir d’ici. Finissons-en.
À la hâte, nous terminâmes nos préparatifs, puis nous sortîmes sur l’appontement, portant chacun un sac.
— Longman ? héla Jenkinson d’une voix basse, mais distincte. Nous l’avons ! Préparez-vous à…
Il s’interrompit. Dans la barque, Longman était assis, immobile telle une statue. Sur la jetée de pierre, une dizaine de pas plus loin, deux hommes armés d’arbalètes pointaient leur carreau droit vers son cœur.
Nous distinguions cette scène sans aucun mal, car ils n’étaient pas seuls. Près d’eux, une silhouette massive et autoritaire brandissait un flambeau. La lumière accusait les reliefs de son visage charnu. Le Dr Ignatius Wilkins. Il fallait s’en douter.
Sa voix grasseyante nous accueillit, affable, comme si nous nous rencontrions lors d’une réception :
— Ah ! Dame de la Roche et messire Jenkinson ! Oui, je pensais bien que vous utiliseriez l’entrée du fleuve, quoiqu’un de mes hommes surveille celle de la rue. Permettez-moi de vous présenter mes compagnons : des serviteurs de l’abbaye de Saint-Marc, que la mère supérieure a eu la bonne grâce de me prêter
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