Le prix du secret
le bonnet, bien que peignées, étaient toutes collées par la crasse. Je lui trouvai les yeux cernés, hagards, et je sus que, près de moi, Brockley le voyait aussi. Sentant qu’il allait s’élancer vers elle, je posai doucement ma main sur son bras.
Nous attendions. La reine Catherine sourit, savourant la petite cérémonie impromptue qu’elle avait imaginée pour égayer une matinée qui eût été, sans cela, consacrée à de graves affaires.
— Procédez ! lança-t-elle.
— Vous savez ce que vous avez à faire, nous murmura Throckmorton, qui nous avait donné des instructions précises.
Nos hommes s’avancèrent, chargés de leurs fardeaux, les déposèrent au centre de la table et soulevèrent les couvercles.
— Montrez-nous, exigea Catherine.
Un à un, les objets furent alignés de chaque côté des coffres. Assiettes, saladiers, gobelets d’or ciselé, salières crénelées et en forme de coquillage, puis les autres, de taille plus modeste.
Le clerc déroula un de ses parchemins et vint le poser sur la table, bloquant les coins sous les objets précieux afin qu’il tienne à plat. Me tordant le cou, je distinguai l’en-tête : « Inventaire. » Throckmorton et Clairpont examinèrent les marchandises. Ils les retournaient entre leurs mains, conféraient, se reportaient à la liste et opinaient du chef. Près de moi, mon beau-père fulminait.
— Ces biens ont déjà été inspectés. Clairpont a envoyé ses assesseurs il y a trois jours ! Qu’est-ce que cette mise en scène ?
— Le protocole, chuchotai-je, avant d’ajouter, de peur qu’il cause de l’offense et que nous perdions Dale : Silence !
Au moins avait-il eu le bon sens de murmurer à mon oreille, et personne ne l’avait remarqué. Clairpont se tourna vers la reine.
— Le trésor correspond bien à l’inventaire dressé par les assesseurs, tant dans sa composition que par sa qualité. Sa valeur est en fait supérieure à celle avancée par dame Blanchard.
La reine Catherine demanda à examiner les salières de plus près. Encore des formalités, visant à donner du poids à la cérémonie en la faisant durer. J’avais beau le comprendre, l’incertitude me torturait. Le visage figé de Brockley semblait un masque.
La cérémonie s’acheva enfin. La reine Catherine, satisfaite, décida :
— Que la transaction soit conclue.
Clairpont s’avança en déroulant avec importance son document. Il lut à haute voix une déclaration selon laquelle, dans la mesure où une rançon d’une valeur approximative de quatre-vingt-dix mille couronnes (il énuméra avec soin la liste) avait été versée contre libération de la femme de chambre anglaise Frances Brockley, autrement connue sous le nom de Fran Dale, les charges étaient retirées ; celle-ci se voyait libre de retourner à son époux et à sa maîtresse, qui serait, toutefois, garante de sa bonne conduite aussi longtemps qu’elle resterait en France.
Les gardes lâchèrent enfin Dale, et elle courut vers nous. Les bras de Brockley l’entourèrent, durs et forts. Je m’en réjouis, et je fus heureuse d’éprouver une joie sincère, qui n’était pas ternie parce que j’étais seule, sans Gerald ni Matthew, et que plus jamais, peut-être, des bras aimants ne se refermeraient sur moi. Éprouver de nobles émotions sans avoir à se forcer est un don du ciel.
On échangea encore quelques civilités. Throckmorton prononça un bref discours de remerciement. Je fis ma révérence devant la reine et lui exprimai ma gratitude. Mais Catherine était déjà lasse de son petit spectacle et, d’ailleurs, les affaires de l’État l’attendaient. Chaque jour apportait son lot de rapports à écouter, de conseils de guerre à présider. Les assesseurs vinrent ranger les objets à l’intérieur des coffres, et l’on nous donna congé.
Accompagnés de Throckmorton, nous sortîmes avec Dale par la porte ouest.
— C’est fini, dis-je, soulagée, en rebroussant chemin vers nos appartements. Oh, Dale ! Quel bonheur de vous avoir parmi nous, saine et sauve !
— Je vous suis reconnaissante, madame. Tout ce que vous avez fait…
Mais elle était trop bouleversée pour dire grand-chose, et ses yeux étaient noyés de larmes. Brockley la portait à moitié en la soutenant par la taille. Il lui murmura des paroles apaisantes et l’entraîna un peu plus vite.
— Nous ne nous sentirons pas tranquilles avant d’avoir quitté ce pays, me dit-il
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