Le prix du secret
lettres (ma dague et mes crochets) dans la poche de ma nouvelle jupe, puis je m’en fus cogner à l’huis de messire Blanchard, pour savoir si le traitement de la veille avait eu un effet.
— Aucun, me répondit William Harvey en venant à la porte.
J’entrai voir le patient, qui m’apprit d’un air pitoyable qu’il n’était ni mieux ni pire.
— Vous devriez manger. Puis-je demander pour vous du gruau ou de la soupe ? Arriveriez-vous à en avaler ?
— Un petit bouillon maigre, peut-être, répondit Blanchard tristement. Et je reprendrai de votre potion, si vous voulez, mais pas la mixture répugnante du médecin.
J’apportai la soupe et une autre dose de mon remède, qu’il avala volontiers. Mais il ne but que quelques cuillerées de potage avant de se renfoncer dans l’oreiller en secouant la tête. Je m’en allai, lasse et découragée.
Je décidai que nous mangerions de nouveau dans notre chambre et envoyai Dale chercher le déjeuner. Revenant avec un plateau, elle déclara que Clairpont avait quitté l’auberge, mais que le marchand Van Weede était encore là, et avait demandé des nouvelles de mon beau-père.
— Je lui ai dit qu’il n’y avait rien de nouveau, ce dont il s’est montré désolé. Il parle anglais, certes, mais avec un fort accent. C’est une personne très civile.
— Je suis sûre qu’il feint d’être ce qu’il n’est pas, persistai-je avec irritation. Que se passe-t-il donc ici ?
Nous restâmes toute la matinée dans notre chambre. Brockley m’avait conseillé de ne parler ni de l’homme au capuchon ni de la fouille de nos bagages à John Ryder. Celui-ci était envoyé par Cecil, comme les Dodd, mais…
— Mieux vaut réfléchir, madame, avant la moindre confidence. On ne peut être sûr de personne. N’alertons pas l’ennemi avant de savoir qui il est.
Je tombai d’accord avec lui. Les hommes du secrétaire d’État étaient-ils d’une intégrité sans faille ? La corruption atteint parfois des lieux insoupçonnables. Il était préférable de garder le silence, décidai-je, et d’attendre que l’ennemi se dévoile.
Aussi restai-je assise près de la fenêtre, à lire mon livre, tandis que Dale s’occupait en faisant du raccommodage. Plus tard, des effluves de nourriture nous parvinrent, d’où je conclus qu’un des garde-malades prenait à nouveau son dîner dans la chambre.
Puis un signal familier résonna à la porte, et Dale ouvrit. Brockley se tenait là, impassible comme toujours, mais les yeux exprimant une vertueuse indignation.
— Je pense que vous devriez savoir, madame, que messire Blanchard, censé souffrir de l’estomac au point de ne supporter qu’un brouet clair ou du lait, est assis dans son lit, à engloutir du pain frais et de la truite aux fines herbes, avant de passer à des beignets aux amandes. Le tout arrosé d’un flacon de vin.
— Quoi ?
— J’allais entrer dans la cuisine quand j’ai entendu Harvey commander le dîner pour Sweetapple et lui. Cela semblait par trop copieux, même pour ce jeune glouton de Mark. Aussi, j’ai attendu que l’on monte le repas, puis j’ai suivi. La clef se trouvait à l’extérieur de la serrure. Je l’ai ôtée et j’ai regardé par le trou. Le dîner n’était pas pour deux, mais pour trois. Voilà comment messire Blanchard s’alimente depuis tout ce temps.
Je jetai mon livre sur le lit, sortis en trombe et allai jusqu’à la porte d’en face, que j’ouvris sans cérémonie. Mon beau-père, bien calé contre ses oreillers, un morceau de pain dans une main, portait à ses lèvres une pleine coupe de vin.
Le silence parut assourdissant. Blanchard rougit d’un air coupable, de même que Sweetapple. Harvey, assis en face de lui à une petite table près de la fenêtre, me considéra avec fureur.
— Entrez-vous souvent sans frapper dans la chambre d’un gentilhomme, dame Blanchard ? demanda-t-il d’un ton froid.
Je l’ignorai, ivre de rage, mourant d’envie de hurler sur eux, d’exiger de savoir quel petit jeu ils jouaient. Mais la prudence m’en empêcha.
— Messire Blanchard, susurrai-je avec une douceur digne de sa fourberie, je venais voir comment vous alliez. Je fondais quelque espoir sur les vertus de mon remède, mais là, je suis émerveillée. Oh, comme je me réjouis de vous trouver mieux ! Je m’inquiétais tant ! Vous devez faire une promenade dans la cour cet après-midi, pour mesurer vos forces. Alors, après une bonne
Weitere Kostenlose Bücher