Le prix du secret
rangés la dernière fois que je les avais vus, peu avant le dîner. Tout, alors, était disposé en piles bien nettes, mais à présent, la malle juchée au sommet semblait en équilibre précaire. Les sacoches, que l’on avait serrées côte à côte afin qu’elles prennent moins de place, étaient éparses, et l’une se trouvait même sous la fenêtre, à mes pieds.
— Dale… Je crois qu’on a touché à nos bagages.
Aussitôt, nous les examinâmes ensemble, ainsi que les affaires rangées dans les placards et les commodes. Rien ne manquait. Nos robes étaient accrochées là où Dale les avait mises ; le coffret renfermant mes quelques bijoux était intact, le contenu en place.
— Mais quelqu’un a tout fouillé, constata-t-elle, horrifiée, en observant l’intérieur d’une garde-robe. Je n’aurais jamais plié votre linge avec tant de négligence. Et toutes vos manches étaient ensemble, alors que j’en vois une paire sur l’étagère du bas.
— Ce recueil de poèmes, ajoutai-je en examinant les sacoches de selle. Il se trouvait dans la poche gauche, pas dans celle-ci !
Nous nous regardâmes. En un geste instinctif, je posai la main sur ma jupe du dessus et sentis le craquement sec des parchemins dans leur cachette. Ils ne me quittaient jamais. Je les avais placés dans un petit sachet de lin et, quand je dormais, je les gardais sous mon oreiller.
— Je me demande si ce sont les lettres qu’on cherchait…
— Tous les gens de notre groupe savent que vous allez à Paris.
— Oui, mais pas que je dois remettre un message à la reine mère.
— Mais alors… si quelqu’un en était informé ? Et s’il était payé pour que la lettre n’arrive jamais ?…
— J’en ai par-dessus la tête ! lançai-je, courroucée. Dire que j’espérais m’éloigner de cette vie-là ! Eh bien, Dale ! Nous allons devoir veiller à ce que cette lettre parvienne à destination, voilà tout.
Brockley s’était occupé des chevaux et nous ne lui avions pas encore relaté notre mésaventure. J’envoyai Dale le chercher, lui décrivis notre étrange poursuivant encapuchonné, puis lui révélai qu’une main invisible avait fouillé nos bagages. La bouche crispée de colère, il annonça que, si nécessaire, il chevaucherait jusqu’à Paris sans le groupe de Blanchard.
— Faisons l’aller et retour. L’escorte de Cecil nous suffira. Celui qui vous épie pourrait bien être l’un des hommes de Blanchard. Espérons que les autres sont tous dignes de confiance ! Nous pourrons retrouver votre beau-père ensuite, chez sa protégée. Du moins, ajouta Brockley d’un ton acide, s’il se rétablit et n’embarrasse pas Charpentier en trépassant dans son auberge ! Entre-temps, madame, fermez bien votre porte et votre fenêtre cette nuit.
— Nous souperons ici, ce soir. Ainsi, nous surveillerons nos affaires.
— Je vous monterai le repas.
Nous mîmes ce plan à exécution. J’apportai à mon beau-père une nouvelle dose de ma potion et je me couchai tôt, mais dormis très mal. Élisabeth avait raison : moi aussi, je savais ce qu’était l’insomnie.
À cette différence près qu’elle n’était pas seule dans son infortune. Les suivantes de la Chambre paraissaient quelquefois épuisées après avoir été réveillées en pleine nuit pour lui faire la lecture ou, pis encore, disputer avec elle une partie d’échecs.
— Avez-vous déjà essayé de jouer en dormant debout ? m’avait un jour demandé Lady Katherine Knollys, sans cacher son amertume.
Je ne dérangerais pas Dale de la sorte. Un verrou était posé sur notre porte et, suivant la recommandation de Brockley, je l’avais fermé, de même que la fenêtre. Mais celle-ci ne comportait qu’un loquet, et il y avait un petit arbre juste au-dehors. J’avais appris, grâce à une expérience que la plupart des dames ne possèdent pas, qu’une lame mince pouvait être glissée par l’interstice et soulever ce loquet. Pendant que Dale, qui partageait mon lit, dormait à poings fermés, je restai étendue pendant des heures, à guetter un craquement de branche et le raclement d’un couteau.
Toutefois, il ne se produisit pas d’intrusion. Je finis par dormir, pendant environ deux heures. C’était loin de suffire, bien entendu, et au matin je voyais trouble. J’envoyai Dale chercher de l’eau froide, dont je m’éclaboussai le visage. Je choisis une robe propre pour la journée, transférai les précieuses
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