Le prix du secret
ressentir de la peine pour elle.
Nous arrivâmes en vue du château de Douceaix à la fin de l’après-midi. Il me rappelait un peu Faldene, qui, sans être une demeure heureuse, est toujours splendide, perchée sur son coteau abrité. Des champs s’étendent sur les larges pentes et des arbres tapissent le fond de la vallée, plongeant leurs racines dans la rivière qui donne son nom au domaine.
Douceaix présentait quelques similitudes. Là aussi, le bas de la vallée était boisé et traversé par un cours d’eau scintillant. Si Hélène devait vivre à Faldene, une partie de la topographie lui semblerait familière. Cela la consolerait peut-être d’avoir mon cousin Edward pour époux et – Dieu lui vienne en aide ! – mon oncle et ma tante pour beaux-parents.
Il existait certaines différences, néanmoins. Le château se dressait sur une butte isolée, et la vallée elle-même était beaucoup moins profonde. Ce n’était pas une région de collines. Les pentes, de part et d’autre, étaient de simples ondulations de terrain, et celles orientées vers le sud étaient plantées non de blé ou d’orge, mais de vignes.
Le château était aussi plus ancien que Faldene, avec de véritables meurtrières dans ses tours d’angle, et, sur ses murailles, des créneaux qui n’étaient pas simplement décoratifs. Des cygnes blancs évoluaient dans les douves, agrémentées d’un pont de la même pierre de couleur claire que le reste de la demeure. Cela ressemblait à la pierre de Caen que l’on avait utilisée pour construire la tour Blanche. À la cour, j’avais appris à reconnaître de telles choses.
Harvey et Ryder partirent au galop annoncer notre approche, et le temps que nous arrivions, nos hôtes s’étaient rassemblés sur le perron. Dans la cour, on nous aida à descendre de cheval et l’on nous accueillit comme des amis de longue date, bien connus à Douceaix. Un homme de haute taille, évoquant un aigle de bronze avec ses grandes mèches brunes rejetées en arrière, telles des ailes, sur les tempes, serra joyeusement Luke dans ses bras en s’exclamant, dans un anglais très passable, qu’il était Henri Blanchard, son cousin éloigné.
— Je crois que nous avons un trisaïeul en commun. Voici ma femme, Marguerite.
Marguerite était brune, petite et délicate, le sourire gracieux et l’œil pénétrant. Sa toilette alliait l’élégance à la modestie. Des fleurs vert pâle brodées sur une cotte et des manches crème rappelaient la couleur amande de la jupe toute simple, mais fort bien coupée ; la petite fraise, d’un blanc très pur, était brodée d’un soupçon d’argent sur son pourtour. Si Hélène avait été élevée selon ces principes, Edward aurait une épouse des plus décoratives.
Henri lâcha son cousin Luke, me remarqua et se courba aussitôt sur ma main, évaluant ma silhouette d’un seul regard de ses yeux brillants.
— Mon cher cousin, présentez-moi donc à cette charmante personne !
— Dame Ursula Blanchard, ma belle-fille. Elle était l’épouse de mon fils Gerald qui, hélas, n’est plus. Elle tiendra compagnie à Hélène pendant notre voyage.
— Ah, en effet ! Vous aviez écrit que vous lui trouveriez un chaperon. Ainsi vous êtes veuve, dame Blanchard ? Si jeune ! Je suis désolé de votre infortune, mais aussi enchanté de vous avoir avec nous. Et voici sans doute votre femme de chambre ?
Il accorda même à Dale un léger sourire appréciateur. Henri Blanchard était de ces hommes qui, tout simplement, aiment les femmes. Son sourire me donna un coup au cœur, car il me rappelait celui de Matthew. Ce n’est pas facile de vivre entre deux mondes, liée par le mariage et pourtant seule.
— Mon cher, lui dit Marguerite en français, ne devrions-nous pas aller à l’intérieur ? Nos invités doivent être las. Ils ont parcouru une longue route en affrontant sans nul doute des périls inattendus. Nous vivons une époque effrayante.
— Mon beau-père a été souffrant, dis-je, m’exprimant moi aussi en français, sur quoi Henri, délicieusement surpris, m’adressa un autre adorable sourire. Nous avons dû rester deux jours dans une auberge de Saint-Marc.
— Mais je me porte comme un charme, à présent, affirma Blanchard alors que nous gravissions les marches et pénétrions dans un vaste porche. Où est Hélène ? J’ai hâte de la connaître.
— Elle fait ses prières, expliqua Marguerite de sa jolie voix.
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