Le prix du secret
nuit de sommeil, nous pourrons peut-être reprendre notre voyage !
Me retirant avant que quiconque pût répondre, je retournai à ma chambre où Dale et Brockley m’attendaient.
— Ils savent qu’ils sont percés à jour, annonçai-je. J’ai feint d’être dupe, mais cela ne les a pas trompés.
Je m’affalai sur la banquette de la fenêtre, ma colère fulgurante disparue. J’avais peur, sans bien savoir de quoi. J’avais la lettre d’introduction de la reine dans ma poche, son anneau à mon doigt, les hommes de Cecil pour me protéger. Et aussi Brockley. Mais, au fond de mon cœur, j’avais toujours été intimidée par Luke Blanchard. Maintenant, cette crainte brûlait telle une flamme.
— Si je continue à feindre de croire à sa guérison, ils continueront à feindre, eux aussi. Mais que signifie tout cela ? Pourquoi Blanchard veut-il nous retarder ? Que trame-t-il ?
— C’est peut-être lui qui cherche à s’emparer de la lettre, avança Dale.
— Nous sommes encore loin de Paris. Il en a bien le temps, opposai-je.
— Supposons qu’il veuille la transmettre à une personne qui réside ici ou dans les parages, suggéra Brockley.
— Cela voudrait dire qu’il est à la solde de quelqu’un en France… dans l’un ou l’autre camp. Je me demande si Cecil le soupçonne. Il se peut que cette affaire de message à la reine Catherine soit un piège pour arrêter Blanchard. J’aurais préféré que l’on m’en informe, c’est tout. Maintenant, que vais-je décider ?
J’avais entrevu un pan de la vérité, mais sous le mauvais angle. Quoi qu’il en fût, aucune de nos conjectures ne nous aidait beaucoup à définir une ligne de conduite.
— Je suppose, dis-je enfin, qu’il ne me reste qu’une chose à faire. Je n’ai pas reçu d’instructions concernant messire Blanchard. Je vais m’en tenir aux ordres qui m’ont été donnés. Je porterai cette lettre à Paris, quoi qu’il advienne. Nous partons demain. Avec ou sans mon beau-père.
Nous partîmes avec lui, bien entendu. Il était démasqué et le savait. Après avoir fait le tour de la cour, la mine grave, et soupé le soir, il déclara qu’au matin il serait tout à fait prêt à se rendre à Douceaix, où Hélène nous attendait.
CHAPITRE VI
Hélène
Le ciel s’était éclairci. Nous quittâmes Saint-Marc pour traverser des bois mouchetés d’or, dans la lumière aquatique du soleil filtré par les feuilles naissantes. C’eût été délicieux, sans l’inquiétude qui me tenaillait.
La veille au soir, j’avais fait remarquer d’un ton détaché à Mark Sweetapple :
— Messire Blanchard a surmonté son mal bien soudainement. Était-il donc très malade ?
Une fois encore, une rougeur trahit son embarras, mais il se borna à répondre :
— Oui, dame Blanchard. Ces choses-là passent de façon subite, parfois. Je gage que votre potion l’a aidé.
Sweetapple était un brave garçon, toutefois il obéissait à son maître. Je ne le changerais pas, ni lui ni les autres. J’envisageai pour de bon d’attaquer Luke Blanchard de front, après tout.
Mais il lui suffirait de répéter l’argument de Sweetapple, et de soutenir qu’il avait eu l’intention d’aller me trouver après le repas pour m’annoncer sa guérison. Je serais bien avancée, alors ! J’avais laissé filer l’homme au capuchon pour la même raison. Non ; mieux valait me concentrer sur ma mission et exposer ce mystère à Cecil à mon retour en Angleterre.
Blanchard lui-même ne fit qu’une seule allusion à ce propos. Alors que nous trottions, nos montures foulant avec un bruit sourd le doux tapis de feuilles, il vint à ma hauteur et observa :
— Vous savez, Ursula, vous ne cessez de me surprendre. Je commence à être très impressionné. Je ne m’y serais jamais attendu.
— Impressionné ? Pourquoi ?
Mais s’il avait eu en tête d’expliquer ou d’excuser son comportement extraordinaire, il se ravisa.
— Quand j’ai appris que Gerald était tombé dans vos rets, j’ai pensé que vous l’aviez séduit afin d’échapper à votre vie à Faldene. Tout ce que je savais, à l’époque, c’est que votre mère avait servi Anne Boleyn à la cour et en avait été renvoyée, grosse des œuvres d’un gentilhomme marié dont elle taisait le nom. Vos grands-parents puis, après leur disparition, votre oncle et votre tante lui offrirent un foyer et l’aidèrent à vous élever. Ils continuèrent à
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