Le prix du secret
son intransigeance, qui étaient celles d’une femme beaucoup plus mûre.
— Les Faldene, répondis-je, respectent ce que vous appelez la vraie foi. Vous n’en serez pas coupée. Vous exposez vos opinions de fort belle façon, presque mélodieuse. Aimez-vous la poésie ? Il existe en Angleterre une tradition poétique à laquelle vous pourriez prendre plaisir.
— Il existe en France une tradition poétique à laquelle je prends plaisir depuis longtemps. Nulle autre ne lui est comparable.
Elle se leva et refit la révérence.
— Si vous voulez m’excuser, madame, je dois me changer. Ma femme de chambre m’attend. Hélas, Jeanne ne souhaite pas venir en Angleterre avec moi. Elle me manquera. Vous et moi nous reverrons au souper. Nous nous comprenons, je pense. Je ne vous causerai aucune difficulté, soyez-en sûre.
Elle sortit, fermant la porte derrière elle. Dale, qui s’était arrêtée de déballer pour écouter cet échange, assise sur ses talons, me livra sa pensée :
— Obéissante ? Soumise ? Madame, voilà des ennuis avec un grand « E » !
— Je ne saurais mieux dire. Ma foi, c’est messire Blanchard qui est son tuteur. Je leur souhaite bien du plaisir, à Edward Faldene et lui !
Un souper solennel fut servi dans une salle élégante, attenante au grand hall orné de trophées. La table était disposée dans une baie vitrée et semblait une œuvre d’art, avec, au milieu, une grande salière d’argent qui me rappela aussitôt celles qui se trouvaient encore sous le plancher d’un entrepôt d’Anvers. Un jour, supposai-je, le bois pourrirait et devrait être changé, ou alors quelqu’un ferait tomber une pièce de monnaie ou une bague par une fente, arracherait les lames pour la récupérer et trouverait un trésor. Je me demandai si j’en entendrais parler.
Luke Blanchard et Hélène étaient descendus avant moi et avaient déjà été présentés. Saluée par des sourires, je découvris le reste de la famille. Henri et Marguerite avaient trois enfants. Tous étaient proprets, calmes et charmants, comme on pouvait l’attendre de la progéniture de Marguerite. Une vieille dame très ridée, qui entra juste après moi, appuyée sur une canne et au bras d’une servante, se révéla être Mme Antoinette, la mère d’Henri.
— Maman, vous devriez manger dans votre chambre. C’est pour vous un trop grand effort de venir jusqu’ici, lui reprocha-t-il avec affection tandis que la servante installait sa maîtresse.
— Je désirais connaître nos invités, surtout le seigneur Luke. Je vois que, malgré notre degré éloigné de parenté, la ressemblance est là. J’en suis heureuse. La beauté est la marque de la famille Blanchard.
Sur ce, elle adressa à mon beau-père un coup d’œil qui frisait la coquetterie et qui laissait deviner l’Antoinette jolie et courtisée d’un demi-siècle plus tôt. Elle ajouta, avec la franchise qu’ont souvent les vieilles gens :
— Du moins, d’habitude.
Et elle lança un regard vers Hélène. « La pauvre ! pensai-je. Elle ne s’accorde pas du tout avec cette maisonnée. » Peut-être se sentirait-elle mieux chez les Faldene. J’y avais été malheureuse, mais Hélène était très différente de moi.
Je m’aperçus qu’il y avait en effet une ressemblance entre Luke et son cousin, jusque dans le profil. Seulement, chez Henri, le nez aquilin paraissait viril et plein de caractère, tandis que chez Luke, il exprimait l’arrogance. Je me demandai à quoi ressemblerait la version féminine. Les fillettes n’étaient pas assez grandes pour le révéler, et le nez d’Hélène était droit, pointu et, hélas ! trop long.
Tout le monde s’était changé. J’avais revêtu une de mes toilettes favorites, en damas rose, sur une cotte crème assortie aux manches, avec une fraise immaculée. Pour une fois, Luke n’était pas en noir mais en bleu foncé, à crevés écarlates. Le velours noir d’Hélène était adouci par une cotte et des manches d’un violet profond, ainsi qu’une fraise blanche au bord brodé au point d’Espagne. Cette tenue de deuil mûrement choisie possédait une élégance où je décelai la main de Marguerite.
Les mets étaient maigres, mais luxueux dans leur genre : tranches de brochet grillé, accompagnées d’une sauce au laurier, et quiche de poisson parfumée au verjus. La conversation se déroulait en français. Luke prodiguait déjà l’affection d’un oncle à Hélène,
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