Le prix du secret
Blanchard, belle-fille de votre tuteur, qui sera votre compagne durant votre voyage vers l’Angleterre.
— Dame Blanchard, dit Hélène, qui s’avança et me fit une révérence polie, je suis très heureuse de vous rencontrer.
Elle ne le semblait pas. Ses yeux clairs m’étudiaient avec une expression sévère. Je fis de mon mieux pour la conquérir, lui offrant un sourire et une main tendue.
— Moi aussi, j’en suis heureuse, lui dis-je. J’espère que nous serons amies.
— Mais naturellement, madame, répondit-elle d’une voix éteinte.
Marguerite, d’un haussement presque imperceptible de ses sourcils épilés avec art, me signifia : « Vous voyez ce que je veux dire ! »
Tout haut, elle déclara :
— Vous devez avoir envie de faire mieux connaissance. Votre tuteur vous rencontrera au souper, Hélène, dans une heure. À présent, je vous laisse.
Elle se retira, avec sa petite nuée de domestiques. Marie, la servante, précisa que la salle de couture se trouvait « juste à quelques pas sur la gauche, madame » et disparut après avoir esquissé une révérence. Dale s’employa à ouvrir nos malles. Je fis signe à Hélène de venir s’asseoir près de la fenêtre.
— Causons, proposai-je d’un ton engageant. Vous parlez anglais, je crois, dis-je, passant à cette langue pour me rendre compte. Vous êtes… Voyons, la cousine germaine de mon défunt époux. Votre tuteur est votre oncle. Nous avons tous hâte de vous accueillir parmi nous.
Hélène continua de me regarder d’un air inamical. Ce n’était pas une beauté. Elle avait d’assez jolies pommettes, mais le visage trop long, surtout le menton, et sous les bandeaux peu seyants ses tempes étaient pincées. Edward Faldene n’aurait pas une épouse très décorative, après tout.
— Je suis sûre que vous ferez de votre mieux, dit-elle, également en anglais, qu’elle parlait avec aisance bien qu’avec un accent. Mon tuteur m’a écrit, il y a quelques semaines. Il m’a appris qu’il arrangeait un mariage pour moi, et je lui sais gré de se donner tant de peine.
Pour l’essentiel, les efforts de Luke Blanchard ne visaient qu’à s’assurer une part juteuse de la dot, toutefois il était inutile de le préciser. Cette jeune fille, dont toute l’attitude trahissait la méfiance, avait déjà eu le malheur de perdre ses parents, et Marguerite, vive et sophistiquée, n’était peut-être pas la plus apte à veiller sur elle. Quoi qu’elle eût enduré par le passé, elle possédait le genre de personnalité qui s’endurcit face à l’adversité. Il n’en allait pas forcément de même pour Hélène. J’espérais que le sort qui l’attendait n’était pas pis encore.
Nous étions assises sur la banquette de la fenêtre ; deux jeunes femmes bavardant côte à côte, et j’eusse souhaité qu’elle se tînt avec moins de raideur. Elle semblait répugner à ce que même nos jupes se touchent. De ma voix la plus amicale, j’expliquai :
— Je fais aussi partie de la famille Faldene, dans laquelle vous allez entrer. Le manoir où vous vivrez ressemble à Douceaix et l’argent n’y manque pas.
— J’en suis certaine. J’ai bien conscience de tout ce que l’on fait pour moi. Je montrerai autant de reconnaissance qu’on peut le souhaiter.
— J’espère que vous serez heureuse en Angleterre.
— Dans ce pays hérétique ? Je ne le pense pas, répondit Hélène en posant les mains sur son giron. Je préférerais rester ici. Mais la mort de ma mère, ce départ et cette union sont la volonté de Dieu, que chacun se doit d’accepter. J’ai été éduquée à l’abbaye de Saint-Marc, dans une communauté de nonnes. J’aurais pris le voile et vécu là-bas si on me l’avait permis. Ma mère y avait déjà presque consenti avant de rendre l’âme. Mais cousin Henri m’a amenée ici et m’a appris que, selon le testament qu’elle avait fait à la mort de mon père et n’avait jamais modifié, j’étais désormais placée sous la tutelle de mon oncle anglais. Les sœurs m’ont enseigné que la soumission est une vertu, surtout chez la femme. Mon tuteur et mon époux peuvent être assurés de mon obéissance. Mais le bonheur ne se commande pas, et le pourrais-je que je ne voudrais en éprouver. J’appartiens à la vraie foi. Habiter en un lieu où l’on pratique une religion mensongère sera pour moi un exil.
J’étais surprise, autant par son exquise façon de s’exprimer que par
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