Le prix du secret
lune.
— Nous sommes mariés depuis un an et demi, et nous nous découvrons seulement maintenant ce goût commun.
— Je sais. Je suis désolée.
Il n’y avait rien de plus à dire.
On nous apporta le souper. À la fin, Brockley ôta le plateau. Puis nous nous couchâmes.
Cela ne ressembla à aucune autre des nuits que nous avions passées ensemble. Autrefois, nous avions fait l’amour avec passion et tendresse ou, en une seule occasion, avec fureur. Jamais auparavant, il ne nous avait semblé possible de ne pas en avoir la force. Mais il en fut ainsi.
Au début, nous nous tournâmes l’un vers l’autre pour nous caresser et nous embrasser, et je sentis que Matthew voulait qu’au matin je fusse incapable de le quitter. La possibilité que de ces retrouvailles résulte un enfant devait être présente dans son esprit, comme dans le mien. Peut-être l’espérait-il. Mais le désir lui fit défaut à l’instant crucial. Il s’écarta de moi et me tourna le dos. À son tour, cette fois, de murmurer :
— Je suis désolé.
— Laisse-moi t’aider.
— Jamais, de ma vie, je n’ai eu besoin d’aide.
— Cette fois est différente de tout ce que nous avons pu connaître, toi et moi. S’il te plaît, Matthew.
Il finit par me laisser faire à ma guise, et le plaisir nous submergea en même temps, tandis que je le chevauchais dans les rais obliques de la lune, penchée sur lui. Je me rappelle ses yeux sombres où jouaient tour à tour des reflets argentés et l’ombre de mes cheveux, dansant tel un rideau.
Nous ne nous étions jamais aimés ainsi. On eût dit qu’avant cela venait du cœur et que, cette nuit, seuls nos corps étaient unis. Mais cela nous apaisa. Je ne m’étais pas rendu compte, jusqu’à cet instant, que j’en avais tant besoin, et je crois que les sentiments de Matthew étaient à l’image des miens.
Enfin, nous nous laissâmes aller côte à côte, nos bras passés l’un autour de l’autre. Je fis un commentaire espiègle sur le souper, qui avait comporté une tourte.
— Ils ne sont pas si gâtés, à l’abbaye. Les chambres d’hôtes sont assez confortables, mais le menu respecte les règles du carême. Ils doivent manger maigre. Je crois que Charpentier n’est pas très scrupuleux à ce sujet, conclus-je d’une voix ensommeillée.
— Cuiller à sel ! Toujours cette petite langue piquante. Charpentier respecte le carême comme il se doit. Cette tourte était au castor.
— Au castor ? Eh bien, c’est de la viande !
— Pas du tout. Les castors ont une grande queue évasée, comme les poissons, et vivent dans l’eau. Ils sont donc permis. Tu ne le savais pas ?
— Non.
Le goût m’avait semblé familier ; j’en avais probablement mangé à la cour. Mais peu m’importait. Seul comptait le fait que Matthew m’eût, une fois encore, appelée « Cuiller à sel » sur ce ton tendre et amoureux. Je me blottis contre lui.
— Dors, maintenant, me dit-il. Tu as besoin de repos, après ce long voyage. La dernière fois que nous avons passé la nuit ensemble, si ma mémoire est bonne, nous avons été interrompus par tout un remue-ménage. Espérons que nous aurons droit à un sommeil calme et paisible.
Ce vœu n’était pas destiné à être exaucé. Avec le recul, il me semble qu’un démon facétieux s’ingéniait à intervenir dans les amours tumultueuses de Matthew de la Roche et d’Ursula Blanchard. Je m’endormis, mais au cœur de la nuit je m’éveillai brusquement. La lune brillait toujours, toutefois elle s’était déplacée de la fenêtre de gauche à celle de droite, et elle était traversée par un nuage noir. Un nuage bas, épais et tourbillonnant…
Alors, mes narines frémirent, emplies d’une odeur terrifiante, et je vis trembloter une lumière non pas froide et argentée, mais rouge et menaçante. Le nuage barrant la lune était de la fumée. Au même moment éclata un véritable brouhaha où se mêlaient des cris, des pas précipités, des claquements de portes. Un cheval hennit de terreur et des sabots frénétiques sonnèrent sur les pavés de la cour. Matthew et moi nous redressâmes.
— Par le Christ, Ursula ! C’est une conspiration ! On s’acharne à gâcher nos moments de passion. La dernière fois, Dale a mis toute la maison sens dessus dessous à minuit, et maintenant, cette maudite auberge est en feu !
Nous sortîmes du lit, saisissant des vêtements tout en courant à la fenêtre, et nous eûmes
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