Le prix du secret
rallongeai et me laissai gagner par le sommeil ; cette fois, je rêvai que le Dr Wilkins entrait et me disait que je ne ramènerais jamais le trésor d’Anvers. Il s’assit au bout de mon lit et se gaussa de moi, faisant trembler le lit.
Brusquement, je me remis sur mon séant. Le matin était là et la pluie s’était calmée. Le vent tourmentait encore les arbres, derrière l’hostellerie, mais il était moins violent et l’on voyait quelques échappées de bleu entre les nuages. Hélène était déjà debout ; en fait, c’est elle qui venait de secouer mon lit, avec douceur.
— C’est l’heure du déjeuner, madame. Voyez, je suis déjà habillée et je suis sortie au grand air. Le temps s’est bien amélioré.
— Certes, mais la monture de messire Blanchard boite toujours et les chevaux de l’hostellerie ne sont pas rentrés. Et Jeanne ? Son état s’est-il bien amélioré, lui aussi ?
— Oui, elle dit qu’elle pourra partir demain, pourvu que nous restions en selle quelques heures de moins.
— Les chevaux devraient revenir aujourd’hui. Ils auront besoin d’une nuit de repos… Demain conviendra, je suppose, dis-je à contrecœur.
La fatigue et l’inquiétude me rendaient irascible. J’en voulais à Jeanne d’être souffrante, au cheval de Blanchard de boiter… Tous ces contretemps nous ralentissaient trop.
Dans l’espoir que l’air frais me revigorerait, je me promenai, seule, après le repas. Je traversai le petit village, regardant les terres cultivées et écoutant le patois local, curieux mélange de français et de bas allemand. J’étais heureuse de sortir de l’auberge. En vérité, celle-ci n’était pas tout à fait aussi primitive que la précédente, dotée de dortoirs séparés pour hommes et femmes, comme c’était l’usage au siècle dernier. Bien que très isolée, elle offrait au moins des pièces privées. Mais les lits étaient infestés de punaises, les tables mal récurées et les plateaux de bois conservaient les reliefs incrustés de précédents repas. L’établissement était dirigé par un père et sa fille d’âge mûr, aux querelles incessantes. Le Cheval d’or était un havre de réconfort et de belle humeur en comparaison.
La promenade me fit du bien. Mon esprit devint moins tourmenté, en dépit de mon découragement. Dale et Brockley me manquaient. Je m’appuyais depuis longtemps sur le bon sens de mon valet. Jenkinson était un agréable compagnon, mais nous avions chacun nos propres intérêts. Brockley m’évoquait un solide brise-vent. Sans lui, je me sentais transie.
Je retournai à l’auberge où je mangeai des quenelles dans un brouet fade, du pain de son indigeste et un soufflé insipide et plat. Jeanne, qui s’était levée pour le dîner, annonça d’une voix faible qu’elle resterait assise là avec Hélène. Je décidai de monter, d’enlever mes souliers et de m’étendre sur mon lit quelques instants. Je m’endormis, m’éveillai en sursaut, beaucoup plus tard, pour me rendre compte que le soir approchait et que de la chambre de mon beau-père, juste à côté, montaient des sanglots et des vociférations.
Précipitamment, je me rechaussai et m’en fus voir de quoi il retournait. Après avoir toqué à la porte et appelé en vain, j’entrai. Dans le renfoncement de la fenêtre, Hélène, très rouge, versait toutes les larmes de son corps en répétant des dénégations. Elle se penchait en arrière comme pour échapper à mon beau-père, qui lui agitait son poing sous le nez.
— Messire Blanchard ! m’écriai-je.
Il fit volte-face.
— Ah, dame Ursula ! Où étiez-vous donc tout l’après-midi ? Jeanne est retournée se reposer, et vous êtes censée chaperonner Hélène. Vous auriez dû la surveiller, au lieu de la laisser aller et venir ! Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
— Je me suis endormie. Je l’avais laissée avec Jeanne. Mais qu’a-t-elle fait ?
J’avais peine à imaginer quel crime un tel parangon de vertu avait pu commettre, surtout dans un tel désert. Les occasions de fauter semblaient fort limitées.
La réponse de Blanchard me laissa perplexe.
— Elle a retrouvé un homme, voilà ce qu’elle a fait ! Je l’ai vue moi-même, par la fenêtre ! Elle était là-bas avec lui, sous les arbres, et qui plus est je crois savoir qui c’est. Je l’ai reconnu à sa silhouette trapue : Longman ! Elle s’est faufilée toute seule hors de l’auberge, cet
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