Le prix du secret
est encore valable – Gerald avait payé cinq ans d’avance. En tout cas, j’en ai toujours la clef sur mon trousseau. Je trouverai le moyen de soulever les lames du plancher. Le retour sera plus lent, il est vrai, car le trésor sera encombrant. Il me faudra louer une barge ou des mules. Mais nous nous hâterons autant que nous le pourrons. Gardez courage, Brockley, et tâchez de soutenir Dale. J’aimerais la voir, mais le temps me manque. Vous préférez que je parte vite, j’imagine.
— Oui, madame. Serez-vous bien escortée ?
— Nous voyagerons tous ensemble jusqu’à Anvers, et j’aurai Sweetapple et Arnold au retour.
— Dieu soit avec vous ! me dit Brockley, qui hésita avant d’ajouter : Je ne vous ai jamais raconté grand-chose sur mon passé, pas vrai ? Excepté que j’ai guerroyé avec le roi Henri en 1544.
— En effet. Pourquoi ?
— J’ai été marié, dans ma jeunesse. C’était la fille d’un tavernier de Londres. Joan. Je dus la quitter pour aller à la guerre, avec la suite du gentilhomme que je servais. À mon retour, elle était partie avec une troupe de comédiens ambulants.
Il remarqua ma stupeur et s’empressa d’ajouter :
— Oh, j’ai épousé Fran dans la plus stricte légalité ! Joan est morte il y a longtemps. Cela m’a pris quelques années de la retrouver. Le destin m’a joué un mauvais tour car, sans que je m’en doute, pendant tout ce temps elle vivait à deux lieues de la ville où résidait mon maître. Elle s’était disputée avec son amant et avait quitté la troupe, puis elle était revenue à Londres, subsistant… je vous laisse imaginer par quel commerce, dit Brockley avec répugnance.
« Elle était tombée enceinte et s’était débarrassée de l’enfant, mais cela l’avait tuée. Elle se mourait lorsque je l’ai retrouvée. J’ai pourvu à son enterrement et je ne croyais pas me remarier un jour. Joan avait un je-ne-sais-quoi de mystérieux. On n’était jamais vraiment sûr de ce qu’elle pensait ou ressentait. Elle gardait toujours un petit air entendu, les yeux brillants, un demi-sourire aux lèvres. Je m’étais épris d’elle pour cette raison. C’était… comme une invite. Mais elle m’a fait passer le goût du mystère. Et alors, j’ai rencontré Fran.
« Avec elle, tout est clair ! Ce qu’on voit, c’est sa vraie nature. Pas de mensonge, pas de secret. Et si un malheur lui arrivait, parce que, imbécile que je suis, j’ai voulu la protéger avec cette maudite fiole… Je ferais comme les Romains jadis, madame. Je me transpercerais le corps sur ma propre épée.
— Nous allons la sauver, assurai-je avec autant de conviction que je le pouvais. Emportez donc vos effets chez John Ryder, en ville. Il accepte de rester avec vous.
Ryder et moi avions eu une fameuse discussion à ce propos.
— Je suis là pour vous protéger, madame, par ordre de Sir William Cecil. Je dois rester avec vous, non avec votre serviteur.
Il se montrait gentil, paternel et ferme. Je le regardai droit dans les yeux.
— Messire Ryder, vous avez reçu ordre de me suivre comme une ombre dans l’espoir que je vous mènerais à Matthew. Je sais fort bien qu’assurer ma protection n’était qu’un prétexte et que cette capture est la vraie raison pour laquelle Sir William Cecil vous a envoyé avec moi. Eh bien, maintenant que je le sais, soyez sûr que je prendrai grand soin de ne pas vous conduire à lui. De plus, il se trouve en France, or je vais à Anvers sous excellente escorte. Si nécessaire, j’embaucherai des gardes supplémentaires pour le retour. Il est donc superflu que vous veniez aussi.
Ryder s’empourpra.
— Dame Blanchard, je vous assure que Sir William se souciait au plus haut point de votre sécurité et…
— Brockley a besoin d’un ami près de lui. Sir William ne pouvait prévoir ce qui allait se passer.
Il réfléchit, les sourcils froncés. De toute évidence, s’il avait à la fois ordre de me protéger et de capturer Matthew, les deux étaient désormais inconciliables. Il ne pouvait rechercher mon époux tout en allant à Anvers, ni me protéger en restant en France. Mais il ne pouvait m’empêcher de m’y rendre.
Enfin, après beaucoup d’hésitation, il accepta de se conformer à mon désir. Je sus ainsi que j’avais raison, et qu’il était surtout venu dans le dessein d’arrêter Matthew. Ma foi, Brockley serait réconforté par sa présence, et je priai que Matthew lui
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