Le prix du secret

échappe.
    — Vous pouvez faire quelque chose pour moi, dis-je à Brockley. Arrangez-vous pour occuper Ryder. Qu’il reste à vos côtés. Et, de grâce, qu’il ne soit plus question de se transpercer le corps sur une épée !
     
    Nous partîmes par un temps affreux, nos sacoches bien remplies et nos sacs battant contre notre dos. Jenkinson (que nous devions désormais nous habituer à appeler Simon Drury) était le plus chargé. Ses sacoches fermaient à peine et au lieu d’un sac, il avait sur les épaules une énorme chose en cuir, à boucles, et pleine à craquer. Nous chevauchions à un train d’enfer, les robes de nos montures aussi trempées de sueur que par la pluie. Peu d’auberges comptaient assez de chevaux pour nous permettre d’en changer en même temps, mais nous prenions ce que nous trouvions, à tour de rôle.
    Je nous pressai d’avancer, abrégeant les haltes pour se restaurer, obligeant tout le monde à se lever tôt et à monter en selle la bouche encore pleine après le déjeuner – à accomplir, chaque soir, ces quelques lieues de plus qui, à la fin, représenteraient un jour de route en moins.
    Les hommes résistaient à cette cadence et moi aussi, car j’étais accoutumée à une vie énergique, mais même si Hélène et Jeanne montaient assez bien, ni l’une ni l’autre n’était habituée à ces longues heures de route. Dès la fin du premier jour, Jeanne paraissait exténuée et Hélène se plaignait d’être meurtrie. Je lui recommandai avec brusquerie de rembourrer sa selle.
    Quand, à l’auberge que nous trouvâmes pour notre troisième nuit, il fallut aider Jeanne à mettre pied à terre et la soutenir pour entrer, Jenkinson vint me parler.
    — Vous montrez une hâte excessive. Ce n’est pas en nous crevant tous de fatigue que vous sauverez Dale.
    Il avait raison, et j’aurais dû l’écouter. À voyager ensemble, nous étions devenus amis. Je m’étais beaucoup confiée sur Matthew, mais aussi sur mon mariage avec Gerald et, dans la mesure où je le pouvais, sur mes raisons de détester le Dr Wilkins et de le croire responsable du malheur de Dale. Je me plaignis de ce qu’on m’eût utilisée comme appât pour arrêter mon époux, sans mentionner que j’eusse jamais été l’espionne de Cecil.
    — Je remarque, répondit-il, que vous n’êtes pas en termes amicaux avec Hélène. Qu’y a-t-il entre vous ?
    — Elle a fouillé dans nos affaires, un jour, et a trouvé la fiole. Néanmoins, ce n’est pas elle qui en a parlé à Clairpont : elle me l’a juré sur la croix. D’ailleurs, elle n’a guère eu l’occasion de bavarder. D’autres – je ne sais qui – ont découvert le poison beaucoup plus tôt.
    Je lui relatai l’incident mystérieux du Cheval d’or.
    — Les hommes de Cecil cherchaient la preuve que j’étais entrée en contact avec Matthew… Toutefois, cela pourrait encore venir d’ailleurs. Oh, que je suis fatiguée des intrigues ! Tout ce que je veux, c’est arriver à Anvers, rapporter la rançon puis quitter la France pour toujours – et Hélène, par la même occasion. Je ne la soupçonne pas de vouloir nuire à Dale, mais je ne lui pardonne pas son indiscrétion et ses airs de petite sainte.
    — Elle est insupportable, convint Jenkinson d’un ton réconfortant. Et pas plus que vous je n’aime le Dr Wilkins, que j’ai rencontré brièvement à l’abbaye.
    Mais malgré notre amitié et la confiance qu’il m’inspirait, je ne me fiais pas à lui quand il me reprochait cette course folle. Je continuai à imposer le même rythme. Lorsqu’on est pressé, le continent européen semble sans fin. En Angleterre, même la topographie paraît savoir que l’on se trouve sur une île et que chaque paysage, chaque étendue de collines crayeuses, de forêts, de plaines, de marais ou de landes doit être confiné dans un espace raisonnable afin que tout tienne à l’intérieur. Sur le continent, tout s’étale. Les cerfs ont de plus grosses ramures, les loups peuplent les bois et les paysages s’étirent à perte de vue.
    Le mauvais temps aussi était déterminé à ne jamais finir. Le vent et la pluie ne diminuaient pas et, en dépit de nos bons manteaux de cuir, le soir nous trouvait toujours trempés, en plus de la fatigue.
    L’après-midi du quatrième jour, Jeanne s’effondra ; on l’installa sur le cheval de Sweetapple, qui la maintint en selle en gardant un bras autour d’elle. Nous dûmes ralentir et, pour