Le prix du secret
distance nous étions d’Hoekstraat.
En revanche, j’avais conservé dans ma mémoire chaque détail de cette pièce. Gerald et moi y avions joué aux échecs. Les yeux fermés, je me le représentai. Il m’avait quittée deux ans plus tôt et bien des choses s’étaient passées depuis, néanmoins les souvenirs ne s’effacent pas aussi vite.
J’aimais Matthew. Je l’avais épousé moins de un an après la mort de Gerald, car cette union m’avait été imposée. Matthew m’attirait, certes, mais, de mon plein gré, je ne serais pas allée à lui si tôt. En ce lieu où Matthew n’avait jamais été, où Gerald et moi avions connu le bonheur, je retournai vers mon premier amour.
Et si d’aventure la porte s’ouvrait et que Gerald la franchissait… Que ressentirais-je ?
Sans doute les souvenirs ne disparaissent-ils pas en deux ans, toutefois la vie nous change irrévocablement. J’étais passée à autre chose. J’avais formé un nouveau lien, l’avais presque brisé. J’avais accepté de nouvelles tâches, affronté de nouveaux conflits. Gerald était enterré à Anvers, mais j’avais déjà résolu de ne pas me rendre sur sa tombe. Et pourtant… si Gerald devait entrer… courrais-je vers lui en criant son nom ? Ou resterais-je assise, muette et désemparée, sentant que l’homme que j’aimais jadis à la folie ne comptait plus pour moi, qu’il était devenu pis encore : une présence encombrante ?
Mais il était mort. Jamais plus il n’ouvrirait la porte et n’entrerait dans la pièce où je me tenais. Au début, l’idée qu’il fût parti pour ne plus revenir m’était insupportable. Je ne pouvais y croire. Je désirais tant que l’impossible se produise ! Maintenant, la finalité de la mort me semblait une bénédiction, car elle m’avait permis de continuer ma route. Comment les endeuillés répareraient-ils leur vie s’ils n’étaient jamais sûrs que le deuil soit définitif ? Si la possibilité subsistait qu’une porte s’ouvre et que l’être perdu s’en revienne ? Cette finalité entraînait la souffrance, mais au moins, on savait où l’on en était.
Un moment, perdue dans mes pensées, je fermai les yeux. Je les rouvris, terrorisée, car la porte s’entrebâillait, pour de bon, cette fois. Un homme entra. Alors je poussai un soupir de soulagement :
— Messire Jenkinson !
— L’aubergiste a dit que vous étiez là. Il m’a indiqué que vous préfériez rester seule, mais quand j’ai expliqué que je devais discuter d’une affaire importante avec vous et que vous souhaiteriez l’entendre, il m’a conduit ici. Je suis navré si je vous dérange.
— Non… non, tout va bien. C’est juste…
Il s’avança d’un pas vif.
— Dame Blanchard, qu’y a-t-il ? Vous semblez souffrante !
— Non. Je me rappelais Gerald, quand nous étions ici. Et…
D’autres inquiétudes étaient soudain remontées à la surface, éveillées par le souvenir de ma vie avec lui, faite d’une tiède sécurité. Ces réminiscences me montraient combien ma présente situation était loin d’être tiède et sûre.
— J’ai peur. Tout au long du chemin, je me suis donné du courage à l’idée de libérer Dale. Mais imaginez que le trésor ait disparu ? Qu’il nous soit impossible de pénétrer dans l’entrepôt ? Supposez qu’il ait été démoli ou emporté par une inondation ?
— Allons ! Vous cédez à la panique, dit Jenkinson. Attendez !
Il alla ouvrir la porte et appela. On lui répondit, et il ordonna :
— Du vin pour deux, et aussi quelque chose à manger. Amenez le tout ici, vite !
Il revint et prit place sur un banc en chêne.
— Vous avez mangé du bout des lèvres, au dîner. Il faut reprendre des forces et vous vous sentirez mieux.
— Je me sentirai mieux quand j’aurai mis la main sur ce trésor. Car sinon… Oh, Dieu ! Qu’arrivera-t-il à Dale ? Elle vit chaque jour sans savoir si je réussirai à la sauver, terrifiée à l’idée de ce qu’elle subira sinon. Même en préparant à nouveau du poison, nous ne serions pas sûrs de pouvoir le lui faire parvenir. Je ne saurais le supporter, pour elle et pour Brockley. Si j’échoue… Que vais-je faire ?
— Bien des choses peuvent arriver, répondit Jenkinson d’un ton ferme. La reine mère peut changer d’avis. La situation politique peut connaître un retournement tel qu’il deviendrait de bonne politique que l’on montre de la clémence envers une
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