Le quatrième cavalier
avez vu ?
— Serais-je en vie ? Personne n’y survit !
— Je croyais que des gens étaient enterrés ici, dis-je
en contemplant le tumulus.
— Il y en a ! Avec leurs trésors ! Et le
dragon le garde. C’est son travail. On enterre l’or et on fait éclore un dragon,
vois-tu ?
Les chevaux eurent du mal à gravir la pente, mais du sommet
nous dominions toute la région. J’y étais monté pour voir si les Danes
arrivaient. Alfred pensait peut-être qu’il leur faudrait deux ou trois jours
pour arriver, mais je m’attendais à voir leurs éclaireurs et il était possible
qu’une patrouille essaye de harceler le campement auprès de la Willig.
Mais je ne vis personne. Au nord-est s’étendaient des
pâtures et des collines, et droit devant une plaine mouchetée par l’ombre des
nuages.
— Que faisons-nous ? me demanda Leofric.
— Dis-moi.
— Mille hommes ? Nous ne pouvons combattre les
Danes avec si peu. (Je ne répondis pas. Loin au nord, des nuages noirs se
massaient sur l’horizon.) Nous ne pouvons même pas rester ici, continua-t-il. Où
allons-nous ?
— Nous retournons au marais ? proposa Pyrlig.
— Si les Danes envoient cent bateaux par les rivières, le
marais est à eux, protestai-je.
— Allons au Defnascir, grommela Steapa.
Mais ce serait pareil là-bas. Nous serions en sécurité un
temps parmi les collines et les forêts, puis les Danes viendraient. De petite
bataille en petite bataille, Alfred serait saigné à mort. Voilà pourquoi il
souhaitait conclure la guerre d’un seul coup : parce qu’il ne voulait pas
que la faiblesse du Wessex se sache.
Nous étions faibles. Un millier. C’était tragique. Nous
étions des rêves fracassés, et soudain je me mis à rire.
— Qu’y a-t-il ? demanda Leofric.
— Quand je pense qu’Alfred tenait à ce que j’apprenne à
lire !
Leofric sourit à ce souvenir.
— Lire est utile, intervint Pyrlig.
— Pour quoi ?
Il resta songeur dans le vent qui ébouriffait ses cheveux et
sa barbe.
— Tu peux lire toutes ces merveilleuses histoires dans
les Évangiles et les vies des saints ! Qu’est-ce que tu en dis, hein ?
Remplies de belles choses, ces histoires. Et sainte Donwen ! Une bien
belle femme, qui donna à son amant un breuvage qui le changea en glace.
— Pourquoi fit-elle cela ? demanda Leofric.
— Elle ne voulait point l’épouser, voyons ! (Comme
sa tentative pour détendre l’atmosphère échouait, il contempla le nord.) C’est
de là qu’ils viendront, alors ?
— Probablement, dis-je.
À cet instant, je vis quelque chose bouger au loin et je
regrettai qu’Iseult ne soit pas avec nous, car elle avait une vue fort perçante.
N’ayant pas de cheval, elle n’avait pu venir, car nous réservions nos montures
aux soldats. Les Danes, eux, en avaient des milliers, dont celles qu’ils
avaient volées à Alfred à Cippanhamm et dans tout le Wessex.
— Peut-être ne viendront-ils pas, repris-je. Peut-être
nous contourneront-ils pour prendre Wintanceaster.
Pyrlig tourna bride.
— C’est donc sans espoir ? demanda-t-il.
— Ils sont quatre ou cinq fois plus nombreux que nous.
— En ce cas, nous devrons être plus braves encore !
— Chaque Dane qui débarque en Anglie, mon père, est un
guerrier. Les fermiers restent en Danemark, mais les plus sanguinaires sont ici.
Et nous ? Nous sommes tous paysans, et il faut trois ou quatre des nôtres
pour abattre un guerrier.
— Vous êtes des guerriers, tous ! Vous savez vous
battre ! Vous pouvez inspirer et mener les hommes afin d’occire l’ennemi. Et
Dieu est à vos côtés ! Alors, qui peut vous vaincre ? Est-ce un signe
que tu attends ?
— Donne-m’en un.
— Eh bien, regarde, dit-il en désignant la Willig.
Je me retournai et vis le miracle que nous attendions. Des
hommes arrivaient, par centaines. Ils venaient de l’est et du sud, des collines,
c’étaient les hommes de la fyrd de Wessex venus sur l’ordre du roi
sauver leur terre.
— Maintenant, nous ne sommes plus qu’à deux fermiers
contre un guerrier ! fit Pyrlig, jovial.
— Jusqu’au cou, soutint Leofric.
Mais nous n’étions plus seuls.
12
Les hommes arrivaient en troupes nombreuses, menés par leurs
thanes, d’autres en petites bandes. Ensemble, ils formèrent une armée. Arnulf, ealdorman
de Suth Seaxa, amena près de quatre cents hommes, et s’excusa qu’ils ne soient
pas davantage, mais des navires danes croisaient sur ses
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