Le règne des lions
tremblante du trouble qu’il lui provoquait, pour en embrasser la paume. Revenus à leur office, les hérauts claironnaient le premier affrontement.
Aliénor gloussa.
— Pas un instant je n’ai douté de finir avec vous cette journée.
Quant à moi je restai perplexe, car à aucun moment Aliénor ne m’avait annoncé qu’Henri, fort occupé sur le continent, y avait été convié.
L’après-midi durant, les chevaliers enchaînèrent les épreuves avec dextérité et bravoure. Dès la première, Henri avait annoncé qu’il n’était point question ici de régler querelle. Qui mordrait poussière garderait terre et privilège. Une seule lice à outrance serait autorisée, pour laquelle la rançon du vaincu serait symbolique. A peine une poignée de deniers. Cette lice serait pédestre et à l’épée à deux mains. Au terme du tournoi, le seul honneur que le grand vainqueur recevrait serait de croiser le fer avec celle que Geoffroy de Monmouth avait rendue célèbre sous le nom latin de Calibumus. Henri lui même l’empoignerait.
Pour laisser au vainqueur le temps de récupérer et à Henri celui de s’apprêter, un second tournoi d’archers avait été prévu. Il débuta alors que de gros nuages s’amassaient par l’ouest. Pour autant, les cibles ayant été accrochées sur un mur de paille qui offrait rempart au vent légèrement forci, les flèches filèrent droit, justifiant la réputation d’habileté et de précision des Anglais. Ce fut un certain Lowen Baldouin, petit seigneur de la pointe sud des Comwall, qui l’emporta sous les hourras, par vingt fois mouche en cœur de cible contre dix-huit. A peine âgé de treize ans, il reçut des mains de sa reine une manche brodée de deux lions qu’il brandit en triomphe, lui jurant haut et fort dévouement et fidélité.
— Gardez-les précieusement au cœur, mon jeune ami, et priez chaque jour pour que je n’aie besoin de vous les réclamer, l’en remercia Aliénor avec sincérité.
On débarrassa la place, puis les hérauts annoncèrent la lice royale, dans un silence d’autant plus tendu que, succédant aux cuivres, un roulement de tonnerre s’était élevé.
Henri avait revêtu haubert à triple maille qui lui battait les genoux et lui recouvrait le crâne. A l’égal de son adversaire, il vint s’incliner devant Aliénor.
— Pour l’honneur, dit-il en portant le pommeau de l’épée d’Arthur à son front puis à son cœur.
— Pour l’honneur, répéta sir Thomas Enguelwen, un jeune loup au regard de braise et à la vigueur impressionnante, avant de faire de même.
Les dominant de la hauteur de l’estrade, la main posée sur son ventre agité de soubresauts, Aliénor afficha un sourire franc.
— Une lice à merci, messires, aux armes de même poids, même calibrage et sans rançon demandée. Point de coups bas ou plus haut que l’épaule. Toute blessure trop sanglante sera examinée, et, si besoin, statuera d’autorité la fin du combat. En acceptez-vous règlement ?
— Moi, Henri Plantagenêt, roi d’Angleterre, je l’accepte devant ma reine qui en est témoin et sa cour assemblée.
— Et vous, sir Enguelwen ?
Ce dernier fit un pas en avant.
— Si le choix du champ m’est accordé.
Henri fronça sourcil. Aliénor sentit son pouls s’accélérer. Fallait-il toujours qu’il en soit un pour défier leur autorité ? songea-t-elle. Elle n’en laissa rien paraître pourtant.
— Je vous écoute…
— Puisque l’honneur m’est fait de croiser Calibumus, que ce soit en Tintagel, Votre Majesté. Au-dessus de la grotte où elle fut forgée.
Un murmure d’approbation roula dans l’assistance, et la tension d’Aliénor se dénoua dans l’œil brillant d’Henri.
— Que voilà grande idée ! s’exclama ce dernier.
— En ce cas, sir Enguelwen, votre désir devient nôtre dès lors que votre serment vient l’engager.
Il posa un genou à terre, piqua l’herbe rase de la pointe de son épée.
— Moi, sir Thomas Enguelwen, des Hautes Terres de Comwall, j’accepte règlement de lice devant ma reine, mon roi et docte assemblée.
Aliénor leva les yeux vers un ciel ramassé, jugea qu’il laisserait aux deux hommes le temps de se frotter, puis, fortement pour couvrir le vent d’orage, nous invita à les accompagner.
Le premier engagement provoqua une gerbe d’étincelles sur ce pont naturel qui reliait la presqu’île à la côte. Plombé par le ciel bas, pressé de moutons
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