Le règne des lions
belle que jamais.
— Vous recevoir est un honneur, Votre Majesté, lui servit-elle, suave, au côté de son époux.
Il la releva d’une main moite, rageur de trahir ainsi le trouble dans lequel, encore, elle le tenait.
— Le plaisir m’est entier, madame.
Ils se sourirent et je sus, en cet instant, comme elle, que, malgré son discours, Louis avait pardonné.
Pendant plusieurs jours, la ville de Rouen fut en liesse, consciente qu’une méchante page venait de se tourner. Henri déploya, pour plaire à son roi, tous les fastes nécessaires, l’emperesse Mathilde se montra affable et amusante, Aliénor eut soin de ne pas évoquer le passé.
Quant à moi, je fus heureuse, au dernier soir de cette visite, de voir Jaufré revenir du Blayais où il avait lancé la construction de trois moulins supplémentaires. Je lui avais manqué autant qu’il m’avait manqué.
19
A l’inverse de son frère, Thibaud de Blois reçut de mauvaise grâce les propositions de réconciliation d’Henri. N’ayant pu s’emparer d’Aliénor au moment où, venant de quitter Louis, elle traversait ses terres, il avait vu son voisin la prendre, l’épouser et agrandir ses territoires autant que sa renommée. Toutes choses qu’il eût voulu se réserver. En outre, reprenant pour lui la rancœur des siens, il n’oubliait pas qu’Aliénor avait soutenu, contre la maison de Blois-Champagne, les épousailles de sa sœur Pernelle avec Raoul de Vermandois. S’il fallait ajouter des griefs, il en trouvait sans peine dans sa lignée puisque son oncle n’était autre que le défunt roi d’Angleterre, Etienne de Blois. Difficile en l’occurrence de tirer un trait sur une haine consommée.
Lorsque le roi de France lui imposa la paix, arguant qu’il l’avait lui-même conclue au mieux des intérêts de la France, il ergota encore sur la possession litigieuse, par Henri, de quelques châteaux qui leur étaient limitrophes. Pour la forme seulement, et pour lui donner le sentiment d’une bataille de laquelle il sortirait vainqueur, Henri marchanda, puis céda à ses exigences. Avec pour ultime condition qu’Aliénor rendrait visite à ses filles sitôt ses relevailles. Car un nouveau fils était venu grandir la famille Plantagenêt. Un Geoffroy à la chevelure fournie, et d’un noir de jais.
Thibaud de Blois, vaincu par la diplomatie, se rendit à la raison. Au lieu pourtant de nous recevoir chez lui, il envoya la petite Alix chez son frère, à Provins, où Marie était installée.
Tandis qu’Henri réglait quelques querelles seigneuriales en Normandie, je pris la route sous solide escorte avec ma reine, ses proches, dont le sénéchal de Sanzey, Bernard de Ventadour, Jaufré et enfin Eloïn, ravie de revoir ses amies. J’étais sereine tandis que la voiture brinquebalait sur les chemins forestiers et qu’un crachin automnal plaquait des feuilles rousses au cuir des volets. Henri de Champagne avait la réputation d’être un homme juste et généreux, actif à développer ses domaines. Quant à son frère, je savais qu’il ne prendrait pas le risque, en nuisant à Aliénor ou aux gens de son escorte, de déplaire à son roi et par là même de perdre son titre de sénéchal. Si encore il se montrait !
Je ne m’attendais pourtant pas, et Aliénor non plus, à un accueil si chaleureux. Le donjon massif avait été jonché de frais, ses literies aérées et, dans les cuisines, festin nous avait été préparé. Marie, somptueusement parée d’un bliaud long de cendal rose, offrit une belle révérence à sa mère. Si elle n’osa se jeter dans ses bras, son regard perlé de tendresse trahit l’envie qu’elle en éprouvait. Elle avait grandi en beauté et en charme, et, du haut de ses treize ans, semblait vouloir tenir son rang. Aliénor en fut plus émue qu’elle ne le voulut paraître. En quelques mois, la fillette était devenue femme et visiblement aimée de tous au castel. Elle nous le fit visiter, vantant sa force et son caractère, mais aussi les beautés d’une province que le comte de Champagne voulait voir développer, enrichir, libérer de mœurs ancestrales et ouvrir sur l’avenir.
— Mon promis rassemble les villes de Troyes, Lagny, Bar-sur-Aube, et quelques autres autour d’un marché commun d’une douzaine de foires par an. Il veut construire des halles couvertes, un vaste hôtel-Dieu, et aussi des auberges. Mon promis souhaite même offrir des sauf-conduits aux marchands qui
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