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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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se changea en bonheur sur ses traits. Alix se jeta au-devant d’elle pour lui ouvrir grand ses bras. Eloïn les referma avec la même fébrilité et, un instant, je me demandai si ma fille n’avait pas tissé, par-delà les distances et avec le secours de la magie, quelque lien avec son amie.
    — Vous voilà bien belle, princesse, la complimenta-t-elle par-dessus son épaule.
    — Je peux vous en dire autant, s’émut Alix avant d’enfin s’écarter pour lever vers sa mère de grands yeux humides.
    Je compris alors qu’on lui avait fait la leçon. Pour contrer son impatience et sa joie, au lieu de s’empresser auprès d’Aliénor, la petite damoiselle avait détourné l’attention de son gardien. Aliénor, fine, parvint à la même analyse. Elle s’accroupit devant sa fille pour l’attirer d’autorité dans ses bras, tuant ainsi tout possible reproche.
    — Tant pis, petite ingrate, si je froisse votre orgueil, il me faut vous étreindre à mon tour et sans tarder, se justifia-t-elle, percevant contre son bliaud le rythme haletant du petit cœur.
    Pour mieux lui en laisser le temps, je décidai de distraire le balafré et me dirigeai vers lui, toujours immobile entre les deux colonnes du portique de l’entrée. Son regard fixe et ses traits blancs marquaient une telle surprise que je me retournai pour découvrir l’objet de sa consternation. Eloïn. C’était d’elle qu’il ne parvenait à se détacher. Une lame m’aurait caressé l’échine que je n’en eusse pas été plus meurtrie et glacée. Je m’interposai entre eux. Il s’attarda sur ma face quelques secondes, puis, semblant sortir d’un songe, revint à la réalité. Je fondis sur lui, mais non plus dans l’idée de le saluer. Il recula.
    — Auriez-vous quelque raison de me craindre, messire Anselme ? demandai-je d’une voix tranchante.
    Il me toisa, cherchant en lui, je le devinai, cette arrogance dont il m’avait toujours couverte. À l’inverse, pourtant, il paraissait défait. Je ne sus pourquoi, à cet instant, j’eus la certitude que, dans les traits de ma fille, c’étaient d’autres qu’il avait reconnus. Je m’en troublai tant que je ne sus plus quoi lui dire. Il en profita pour tourner les talons brusquement. Le temps que je me reprenne, il n’était même plus dans la cour où je me précipitai. Je ne le revis pas de la journée.

20
     
     
    D ébarrassée de son ombre, la petite Alix se révéla telle que nous l’avions connue et aimée. Taquine et joyeuse. Elle nous raconta ses journées au château de Blois, affirma qu’elle était bien traitée, qu’elle s’y était fait de nouvelles amies avec qui elle aimait jouer, et que, si nous lui manquions souvent, elle n’avait pas à se plaindre de son sort. Thibaud de Blois était apprécié des siens pour sa bonté et le prouvait par les largesses dont il la couvrait. Quant au balafré, commis à sa sécurité, si elle l’avait craint dans les débuts, elle avait fini par se faire à sa cicatrice. Bien qu’il l’inquiétât toujours par certains côtés, il faisait preuve avec elle d’une vraie gentillesse et elle n’avait rien à lui reprocher. J’en déduisis qu’elle n’avait, pas assisté au meurtre sauvage de sa nourrice le jour de son enlèvement et me gardai bien, comme Aliénor, de l’évoquer. D’autant plus que je demeurais obsédée par le regard qu’il avait porté sur Eloïn. Plus les heures passaient et plus je me persuadais qu’il avait connu Aude de Grimwald. Sa présence en la maison de Blois me confirmait dans l’idée qu’il était toujours rattaché à l’ordre du Temple et à ses basses besognes. Aurait-il pu être ce cavalier noir qui avait précipité ma mère vers sa fin et moi dans les bras de Jaufré ? Moult questions m’assaillaient. Me revenaient des images. Celles de mon agression en forêt de
    Châtellerault ou sous le porche de l’église Sainte-Geneviève à Paris. Par deux fois, il avait tenté de me découdre, servant là les intérêts de ses maîtres. J’y avais vu volonté de m’éloigner du pouvoir et d’Aliénor. Mais… Mais ?
    Tandis que ma reine profitait de ses filles en compagnie de la mienne, de Jaufré, de Bernard de Ventadour et du maître de céans, je finis par suffoquer sous ce doute. En fin d’après-midi, sachant que le lendemain matin Anselme de Corcheville quitterait la place pour ramener Alix en Blois, je ne résistai plus et me mis à sa recherche.
    Le castel était vaste,

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