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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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œil mauvais qu’un de ses vassaux brisât le droit féodal. Il finit par s’ébrouer, balayer le bas de son haubert et se lever.
    — Ma foi, je l’admets, si la déception est de mise, la raison doit l’emporter. Vous ne pouvez donner l’exemple d’une forfaiture sans vous-même en subir de lourdes conséquences. Nul ici, je m’en porte garant, ne vous tiendra rigueur d’être d’honneur et de respect.
    Henri ne répondit pas. Feignant son exaspération, il se renfonça sous sa tente et en rabattit le volet. Intérieurement il jubilait. S’il était aussi convaincant auprès d’Aliénor, sa cause était gagnée.
     
    Laissant à Thomas Becket le soin de reconduire l’armée sur Cahors et, là-bas, de la disloquer, il réclama l’aide de Malcolm pour guerroyer contre Robert de Dreux qui, sur l’ordre de Louis, s’était avancé en Normandie. L’Écossais s’en déclara ravi. De fait, Louis avait joué finement. Son orgueil avait souffert à plusieurs reprises de joutes verbales avec son frère. Rien qui n’ait trouvé règlement en son temps, mais il fallait offrir à Henri compensation. Quoi de mieux que quelques villes appartenant à son cadet, avec une bonne excuse pour s’en emparer ? L’occasion pour le roi d’Angleterre, en outre, de démontrer sa puissance et de ramener entre eux l’égalité. Henri laissa ses chevaliers s’acharner dans le Beauvaisis, raser la forteresse de Gerberoy et planter sa bannière en Évreux. Quelques semaines plus tard, selon leurs accords secrets, Louis demandait une trêve et Henri la changeait en paix.
     
    Quant à Aliénor, elle soupira de dépit sur ses rêves envolés avant de chevaucher son époux et de jouir de lui pour se consoler. Comment lui en vouloir d’avoir agi en roi quand c’était un roi qu’elle avait, avant tout, épousé ?

23
     
     
    D epuis le commencement de ce 9 juillet 1160, Jaufré tenait justice en la salle d’audience de son castel de Blaye. Il y avait tranché une querelle de paysans à propos d’un soc de charrue volé, entendu les plaintes d’une femme que son époux aviné battait, accordé un délai de paiement à un commerçant qu’une récente tempête sur l’estey avait ruiné et puni d’écartèlement un truand qui, au cours des derniers mois, avait égorgé cinq pèlerins pour les délester. Il n’aspirait plus qu’à se mettre à table tant l’appétit le tenait, compensation dérisoire du manque provoqué par l’absence de son épouse, appelée discrètement auprès de Louis de France. Quelques badauds demeuraient encore, épars dans la salle, toujours les mêmes, affamés de sentences comme il l’était de rôti. Il s’apprêtait à les renvoyer lorsque le héraut en faction à la porte annonça un dernier plaidant.
    — Anselme, seigneur de Corcheville.
    Jaufré sursauta. L’homme n’était pas de son fief et savait ne pas y être le bienvenu. Instinctivement, Jaufré se raidit sur son siège. Anselme de Corcheville avança dans la travée centrale cernée de bancs, le regard dans le sien, sa balafre déchirant sa joue jusqu’à l’arcade sourcilière. Ses cheveux avaient blanchi depuis leur dernière rencontre à Provins, songea Jaufré. Si Jaufré s’était tenu à l’écart de l’échange que le criminel avait eu avec moi, il en avait reçu l’écho et partagé le constat. Anselme de Corcheville demeurait une menace sournoise pour les siens. Jaufré leva le menton à cette pensée. Ici, chez lui, il était le maître et entendait le montrer. Refusant de se racler la gorge pour ne pas donner l’illusion d’une crainte, il s’adressa au balafré de son timbre qui, sans cette précaution, continuait de s’érailler :
    — Vous ne faites pas partie de mes gens, messire de Cor-cheville, ce tribunal ne saurait donc vous être ouvert.
    Le balafré laissa un sourire contracter vers l’œil la ligne sombre de sa cicatrice.
    — Ma venue est cependant justifiée, messire de Blaye, puisque je viens demander réparation pour un préjudice.
    Le ton était affable. Presque courtois. Trop, songea Jaufré, pour ne pas augurer quelque malice. Il ne pouvait pourtant se dérober à l’usage si l’un de ses vassaux s’était porté à vilenie.
    — Soit. Mais étant donné le caractère de nos précédentes rencontres, cet échange se poursuivra en privé.
    Un murmure de désapprobation s’éleva dans la salle, vite enrayé par les deux gardes en faction qu’un signe de Jaufré avait

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