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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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déplacés. Les quelques personnes présentes se décidèrent à évacuer sous la menace des guisarmes tapées contre le plancher. Les portes se refermèrent sur eux. Jaufré reporta son attention sur le balafré qui, sans bouger de place, avait suivi le mouvement au bas des trois marches de l’estrade.
    — Je vous écoute.
    Le regard d’Anselme, revenu vers lui, se voila d’une douleur passagère qu’il chassa d’un geste brusque de la main vers son épée. Instinctivement, Jaufré se tassa légèrement dans son faudesteuil, amenant un sourire amusé sur le visage ennemi. Les doigts demeurèrent pourtant sur le pommeau, ployant l’épée vers l’arrière tandis que le genou fléchissait jusqu’à toucher terre. Jaufré s’en sentit plus mal à l’aise encore. Point n’était dans les habitudes du bougre de s’abaisser. Du regard, il ramena sa soldatesque, prête à intervenir, à la patience. Anselme de Corcheville, ainsi rendu à l’allégeance, darda sur lui un regard assombri.
    — Avant toute chose, je vous demande d’oublier céans les griefs que vous me portez. Je n’en suis coupable que par mon aveugle asservissement aux chevaliers du Temple.
    Un petit rire cynique échappa à Jaufré, sec comme un coup de trique.
    Anselme de Corcheville soupira.
    — Comme votre épouse, vous ne savez rien de moi, Jaufré de Blaye.
    — J’en sais suffisamment à mon goût. La main est le prolongement de l’âme. Et il l’a fallu bien noire pour tuer aussi innocente victime qu’une nourrice… Pour ne citer qu’elle, lors du rapt des filles de France…
    La main de Jaufré, agacé, battit l’air devant lui.
    — Et puis, relevez-vous et venez-en au fait. Ces manières ne vous ressemblent pas.
    Anselme de Corcheville ne broncha pas, déterminé visiblement à suivre le cheminement de sa pensée. Seule sa voix laissa transpercer une colère rentrée :
    — Je ne fus pas toujours l’être abject que vous voyez en moi. Il fut un temps où comme vous je siégeais sur mes terres, un temps où, juste et généreux, je veillais sur mes gens, et accueillais sous mon toit les pèlerins de Compostelle.
    Jaufré sentit grandir en lui son malaise. L’idée que ce temps révolu appartenait à Aude de Grimwald lui parut soudain d’une telle évidence que son estomac se noua. Comme pour l’affirmer, Anselme de Corcheville se mit à gratter d’un ongle carré la cicatrice qu’elle lui avait faite. Il s’y attarda une fraction de seconde, puis, devant le mutisme de Jaufré, poursuivit d’un timbre apaisé par sa démangeaison :
    — Ce fut l’un de ces pèlerins, pas encore sacré roi d’Angleterre, qui changea ma destinée. J’étais un jeune seigneur dont l’épouse, aimée, venait de mourir dans d’atroces souffrances après avoir rendu visite à une sorcière. Etienne de Blois, touché par mon chagrin, me parla longuement de ces femmes qui cachaient leur malignité sous d’apparents bienfaits. Pour mieux voler les âmes. Au lendemain, je quittai les lieux pour le suivre à Compostelle et, en chemin, adhérai de cœur et d’âme à une branche secrète de l’ordre du Temple, créée pour épurer le pays de ces démones.
    Jaufré refusa d’être compréhensif. Malgré cet accent de douloureuse sincérité, où était la vérité ? Un assassin était capable de tous les mensonges pour obtenir ce qu’il voulait. Or, justement, Jaufré ignorait ce que le balafré voulait. Il persista dans son mutisme, pour le forcer à poursuivre.
    De fait, emporté par l’évocation de souvenirs enfouis dans une portion reniée de sa mémoire, Anselme de Corcheville s’était mis à fixer sans la voir une tapisserie qui étendait les plateaux d’une balance de justice sur le mur du fond, de chaque côté de Jaufré. Sa voix se troubla, mais point cette fois de rancœur. D’une chaleur inhabituelle. Incongrue, songea Jaufré tandis que les mots le frappaient.
    — Le premier regard que je portai sur Aude de Grimwald fut le même que celui de mon ami Wilhem du Puy du Fou. Nos domaines étaient voisins, nos âges et nos manières de diriger nos terres semblables. Nul ne savait en le pays que j’étais, la nuit tombée, ce cavalier de l’ombre au service de l’Église. Pas même Wilhem. Comme moi, il avait perdu son épouse et croyait ne jamais plus pouvoir aimer. Lorsqu’il revint de l’abbaye de Trizay avec Aude, il s’empressa de me la présenter. Son bonheur me déchira le cœur, tant sur

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