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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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recouvert de chaux. Je ne pouvais rien d’autre qu’attendre, le cœur dardé d’épines, purifiant l’air autour de lui de feuilles d’eucalyptus jetées dans un bouillon au-dessus des flammes, lui oignant la poitrine de mes onguents. Par instants, jaillissant de son abattement, il tournait vers moi ses yeux désolés dans lesquels pourtant s’inscrivait une confiance aveugle. Ma main s’attardait sur sa joue, je m’y ressourçais de courage, lui interdisais de parler, l’enjoignant de patience et de repos. Je veillais. Nuit et jour. M’assoupissant pour me dresser au moindre gémissement, tâtant son pouls, vérifiant ses humeurs, remontant ses couvertures lorsqu’il claquait des dents. Deux jours passèrent encore, me laissant dans l’inconnu, m’interdisant tout renoncement pourtant, tant qu’un souffle éraillé jaillissait de sa poitrine, tant qu’il pressait mes doigts courageusement.
    Nous étions à la Saint-Michel, date, avec Pâques, de la séance de l’échiquier. Au vu des circonstances, j’avais décliné le privilège de l’arbitrer avec d’autres grands du royaume, scrupuleusement choisis par le roi. Durant plusieurs jours, sur une grande table quadrillée, le trésorier du royaume et son clerc, aidés de quelques chevaliers et du chambellan, comptabilisaient les recettes des shérifs à l’aide de tailles de bois et de jetons. Une fois que le résultat avait été validé par les témoins, les calculs comme leur résultat se voyaient notifiés, contresignés sur des rouleaux de parchemin qu’on archivait, avant, enfin, de verser les deniers dans les coffres.
    Cela me laissait indifférente. Ma richesse à moi tenait dans cette couche qui tant de fois déjà avait vu s’enrouler au mien le corps de Jaufré. Je m’accrochais au souvenir de ces étreintes passées, tour à tour lascives ou fiévreuses, pour refouler mes larmes, invoquer la magie. Je ne la trouvais pas, trop épuisée par l’attente, l’angoisse. Jaufré s’amenuisait. Et même Merlin semblait l’avoir, nous avoir abandonnés. Au soir du sixième jour, mon époux n’était plus qu’une ombre, si pâle dans la blancheur des draps que je me résolus enfin, convaincue de sa non-contagion, à mander nos enfants. Je ne voulais pas qu’il passe sans les avoir revus.
    Ils s’avancèrent d’un même pas, main dans la main, s’arrêtèrent devant moi qui leur masquais le lit aux courtines relevées.
    — Votre père est mourant, avouai-je dans un frémissement des lèvres.
    Comme les miens, les yeux de Geoffroy s’emplirent de larmes. Ceux d’Eloïn se troublèrent mais restèrent secs. Je m’écartai enfin pour leur livrer passage. Mes jambes me portaient à peine et je dus prendre sur moi pour les lancer de l’avant. Je ne devais pas baisser ma garde. C’était dans ma force que les petiots puiseraient la leur.
    — Papa, c’est moi, papa, chuchota mon petit homme à l’oreille de son père.
    Jaufré ouvrit un œil injecté de sang, sourit. Ses doigts s’envolèrent lourdement jusqu’aux boucles brunes et bouclées, il en suivit le rebond d’un index recourbé avant de le laisser retomber. Je me sentis vaciller, cherchai l’appui du montant du baldaquin, m’y accrochai. Par son silence, lourd, Jaufré avouait son renoncement. J’eus l’impression que tout se déchirait en moi. Je mordis mes lèvres pour ne pas hurler. Rester digne. Je l’avais pu une fois déjà. Non. Non c’était différent. En ce temps-là, un espoir irraisonné au fond de moi m’avait tenue droite, sans doute parce que je n’avais pas assisté à son trépas. En avais-je encore en cet instant ? Je ne savais plus. J’étais perdue. Mon souffle était devenu aussi court que le sien, mon cœur aussi lent. Comme lui, j’avais la soif aux lèvres et la fièvre dans l’âme. Geoffroy leva les yeux vers sa sœur, de l’autre côté du lit. Muette, elle fixait les paupières retombées de son père, les bras le long du corps.
    — Je veux pas qu’il meure. T’entends, Nillette, je veux pas, gémit Geoffroy, me broyant plus encore le ventre.
    — Il ne mourra pas, petit frère. Papa vivra très vieux. Comme mère, lâcha enfin Eloïn d’une voix apaisante.
    Un coup de fouet me battit l’échine tandis qu’elle prenait la main de son père et se courbait pour y déposer un baiser. Un simple baiser de foi. Jaufré ne réagit pas. Elle se tourna pourtant vers moi, un sourire confiant aux lèvres.
    — La malemort s’en

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