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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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va. Au petit jour, la fièvre sera tombée.
    Je ne trouvai pas la force de la contredire, incapable de discerner la vérité de l’espoir. Geoffroy dodelina de la tête.
    — T’es sûre, Nillette ?
    Elle lui fit signe de la rejoindre. A pas de loup, repris de confiance, il vint nicher ses épaules sous son bras.
    — Demain, nous reviendrons, et il nous embrassera.
    Je les suivis d’un pas hésitant jusqu’à la porte. Eloïn fit passer son frère dans l’huis entr’ouvert avant de se retourner vers moi. Elle avait menti. Pour lui, bien sûr, en conclus-je. Elle pointa pourtant sur moi ses deux prunelles mauves pailletées d’or et de tendresse.
    — Sois en paix, maman. Je veille. Nous ne le perdrons pas.
    La porte se referma. Je me sentis m’avachir, glisser lentement sur moi-même. Je ne cherchais plus à lutter. Je m’assis sur le tapis souillé des chausses boueuses de Geoffroy, et, mordant mon poing à en faire jaillir des perles de sang, y étouffai un long, un profond sanglot.
     
    Au mitan de la nuit, Jaufré n’allait pas mieux et, malgré les paroles de ma fille, j’attendais son dernier souffle entre la résignation et la colère. Je ne voulais pas que notre histoire finisse là, si loin de Blaye. Je ne voulais pas qu’elle finisse. Lorsque la porte s’ouvrit, vers les deux heures du matin, je levai à peine les yeux de ce visage décharné, sur lequel je traquai la moindre crispation macabre à la lueur d’une chandelle posée sur le chevet. Comme précédemment, Eloïn s’immobilisa contre le matelas, de l’autre côté du lit.
    — J’ai besoin d’aide, mère.
    Je consentis enfin à m’arracher à ma morbidité. Les épaules recouvertes d’un mantel sur son chainse de nuit, elle tenait, d’une main, un entonnoir, de l’autre, un broc. Son visage était d’une telle sérénité que j’en repris quelque courage. Comprenant son intention, je redressai Jaufré et lui cassai légèrement la nuque en arrière dans un creux de l’oreiller. A ma surprise, il claqua de la langue dans sa bouche et, comme s’il avait deviné, ouvrit puis referma ses lèvres sur l’embout. Eloïn versa délicatement le breuvage, s’accordant à le laisser avaler sans s’étouffer. Je n’osai le moindre mot, la moindre remarque. À l’odeur du liquide je devinai une décoction de saule. J’avais déjà usé de la médication, jusqu’à ce que Jaufré la régurgite. Je l’en avais alors bassiné depuis le premier jour de sa maladie jusqu’à la tombée de cette nuit. Aucun secours ne lui en était né. Devant le besoin d’agir de ma fille, je refusai de le lui dire. Jaufré téta, tel un nourrisson au sein, le breuvage amer. Jusqu’à la dernière goutte qu’Eloïn avait préparée.
    Dans un silence bercé seulement de nos respirations, elle écarta de lui les objets, devenus inutiles, ouvrit ses doigts puis les posa délicatement jusqu’à lui en recouvrir la face. Je n’entendis pas les mots qu’elle prononça. Je ne vis bouger que ses lèvres. Lorsqu’elle retira sa main, les joues auparavant diaphanes étaient redevenues rosées. Mon cœur s’affola dans ma poitrine. Je cherchai le pouls de mon mari à sa jugulaire, le retrouvai régulier et non plus filant comme les heures précédentes. Pendant ce temps, Eloïn avait attiré un tabouret contre le lit. Elle s’y installa. Je retrouvai ma propre assise, un espoir redevenu fou dans mes veines. Elle me sourit. Je me mis à pleurer.
    Plus tard. Plus tard, je comprendrais. La passation de pouvoir en Brocéliande. La magie en elle par la puissance de la fontaine de Barenton, de Merlin et de la pierre de lune qu’elle glissa dans la main refermée de son père sur la sienne. Plus tard. Lorsque le coq chanta et que la fièvre s’enfuit avec les derniers instants de la nuit, une seule chose compta.
    Jaufré était sauvé.
    Il lui fallut quelques jours encore de lit avant qu’il puisse se lever. Jaufré était amaigri, épuisé de courbatures tant la fièvre avait roulé son corps dans ses rets. J’eus le sentiment de le retrouver devant moi tel qu’en ces jours d’hier où, espérant mon amour, il était revenu de Tripoli. Je me gardai de le lui faire remarquer. Le moindre regard sur moi, le moindre geste pour retenir une de mes caresses, la moindre de ses paroles m’enflammait avec d’autant plus de braise que j’avais senti les cendres affleurer. Les enfants, Eloïn la première, me relayaient à son chevet, exigeant que je

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