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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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étincelles sur les pavés. Lancastre et ses compagnons, droits sur leur selle, noires silhouettes se détachant sur le ciel qui s’éclaircissait, ressemblaient à des spectres venus du monde des morts. Lancastre, visage blême et émacié enfoui dans son profond capuchon, fit avancer sa monture en regardant la scène.
    — Allons, le Gascon, dit-il d’une voix haineuse, viens, viens maintenant, c’en est fait de toi.
    Gaveston l’ignora. Il leva les yeux vers la lueur rougeâtre qui teintait le ciel, agita ses chaînes avec maladresse et se tourna vers moi.
    — Un jour une sorcière a prophétisé que je mourrais à l’aurore.
    — Allons, répéta Lancastre.
    Les cavaliers s’écartèrent. La garde d’archers gallois nous entoura. Nous franchîmes le portail et descendîmes le sentier escarpé, les arbres et les buissons étant les témoins silencieux des événements. Il n’y avait ni groupes de serviteurs prêts à lancer des ordures ni foule ricanante. Les comtes avaient décidé que si l’exécution devait avoir lieu, il fallait qu’elle soit prompte. Nous ne traversâmes pas le village mais suivîmes une ruelle pleine d’ornières serpentant, tel un lapin dans sa course éperdue, sous les maisons en surplomb. Des enseignes craquaient dans le vent. Le martèlement des sabots portait comme un lugubre roulement de tambour. Si on nous entendit, personne n’osa se manifester. Les fenêtres ne s’éclairèrent pas, les volets restèrent bien clos, les portes fermées. Nulle voix lasse ne demanda quelle vilenie se tramait dès potron-minet. Il arrivait que l’ombre d’un chat, qui détalait en quête d’un abri, me fasse tressaillir. Les hurlements funèbres d’un chien faisaient écho aux croassements rauques des corneilles dont on troublait le festin sur les tas de déchets. Aucun mendiant ne vint en gémissant demander l’aumône. Personne ne se hasarda à approcher ces grands seigneurs qui organisaient prestement l’exécution sommaire d’un des leurs.
    L’odeur de salpêtre et d’immondices se fit moins forte lorsque nous parvînmes au bout de la ruelle et que nous débouchâmes sur un chemin de campagne sinueux. Je transpirai et étais hors d’haleine. Gaveston tituba : on le releva et on le poussa en avant sans ménagement. N’étant plus gênée par les maisons, je pus regarder autour de moi. La lumière se faisant plus vive, je distinguai une colline boisée à la pente abrupte. Un des archers m’en souffla le nom : « Blacklow. » Je compris que c’était là que l’âme de Gaveston serait rendue à son Créateur. Nous quittâmes le sentier pour passer par un portail entrouvert. Les cavaliers retinrent leurs chevaux. Lancastre leva la main pour désigner la rangée d’arbres.
    — Emmenez-le ! Allez !
    Gaveston n’eut pas le temps de s’insurger. Deux archers s’emparèrent de lui sans cérémonie. J’avais le souffle coupé, j’étais épuisée et souhaitais m’arrêter un instant. Le favori se retourna, blême comme un fantôme dans le demi-jour.
    — Mathilde, de grâce ! plaida-t-il d’une voix sifflante.
    Je suivis les archers qui faisaient avancer de force leur captif dans un cliquètement de chaînes. Il se retourna encore une fois pour s’assurer que je l’accompagnais. Nous gagnâmes la rangée d’arbres, un endroit sombre et désolé. Il n’y avait ni chant d’oiseaux ni bruissement sous le couvert comme si toutes les créatures de Dieu avaient senti quel drame allait se jouer. Je jetai un coup d’œil derrière mon épaule. Les barons toujours à cheval, telle une armée de démons, observaient la scène en silence, avides de voir périr cet homme, de voir jaillir son sang chaud.
    — Ça suffit, constata un des soldats, haletant.
    Il jeta Gaveston au sol. Ce dernier s’écroula, priant à voix haute, tentant désespérément de se remémorer les paroles de l’office des morts.
    L’un des hommes s’approcha de moi :
    — Madame, inutile de rester plus longtemps.
    — Je connais Ap Ythel, lui glissai-je, le capitaine des archers du roi.
    — Ap Ythel, voilà un grand archer, un être loyal, commenta mon interlocuteur qui semblait avoir oublié sa mission et s’exprima en gallois.
    Je lui répondis en hésitant avec les quelques mots et expressions qu’Ap Ythel m’avait enseignés.
    — Madame ? chuchota-t-il.
    J’ouvris mon escarcelle, en sortis trois pièces d’argent et les lui donnai.
    — Faites vite, dis-je. Qu’il ne

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