Le règne du chaos
venu de l’extérieur. Les petits oriels, dorés et ornés d’emblèmes religieux, enluminaient les rayons du soleil couchant. L’endroit était parfait pour confier des secrets et tenir un conseil privé.
Isabelle resplendissait en robe fauve de riche taffetas sous un surcot bleu et or. Chaussée de souliers argentés, bordés de la plus douce des laines d’agneau, elle avait posé un voile de gaze sur son abondante et splendide chevelure épandue sur ses épaules. Quand nous nous approchâmes, je remarquai qu’une cassette sertie de joyaux, dans laquelle elle rangeait ses secretae litterae – ses lettres secrètes –, était ouverte, couvercle basculé. J’identifiai une missive, fort récente, dont le vélin encore d’une fraîche couleur crème portait le sceau de la chancellerie personnelle de Philippe de France. Je me demandais quand elle l’avait reçue et pourquoi elle était devenue si réservée. Nous nous installâmes un moment autour du feu. Bougies et lampes à huile faisaient danser des ombres sur les murs. Le silence dehors grandissait : les nonnes se rassemblaient dans leur chapelle pour méditer. La reine coupa court aux politesses.
— Où en sommes-nous ? demanda-t-elle d’une voix que le courroux faisait trembler. Par la grâce de Dieu et de Lui seul, nous avons réussi à quitter Tynemouth et sommes hors de portée des maraudeurs écossais et des pirates flamands. Non, non, je ne suis pas ingrate !
Elle me pinça le poignet.
— Demontaigu et mes écuyers ont bien joué leur rôle, mais cela n’aurait jamais dû se produire.
Elle me pinça derechef le poignet.
— Mathilde, le roi et Gaveston trempent à présent dans une mare souillée par leur faute. Les Noctales ont rencontré la justice divine, mais la mort de Lanercost, celle de Leygrave et celle de Kennington demeurent inexpliquées. Et, plus important, que s’est-il vraiment passé à la tour Duckett ? La disparition de Kennington et de ses gardes faisait-elle partie d’un complot contre moi ?
Isabelle et Dunheved échangèrent un regard, comme s’ils se délectaient de quelque secret. Je maîtrisai mon irritation.
— Un complot contre Votre Grâce ? m’étonnai-je, tout innocence.
Isabelle ne m’ayant point conviée à son conseil privé, que pouvais-je dire ? La reine se contenta de sourire, me tapota le poignet et se pencha un peu plus.
— Bien entendu ! Si le Seigneur n’était pas intervenu, ces Écossais auraient forcé le grand portail de la tour Duckett. Ils avaient été prévenus non seulement de ma présence mais aussi du fait que je pourrais fuir, d’où ce furieux assaut sur la plage.
Là encore, je retins ma langue. Isabelle semblait réciter un discours et s’intéresser moins à la vérité qu’à ce que je pouvais penser.
— Votre Grâce a-t-elle des nouvelles de Tynemouth ? m’enquis-je.
— Oui, de bonnes nouvelles. Le gouverneur a réussi à contenir les assaillants et à les repousser. La garnison s’est bien acquittée de sa tâche. Mes beaux cousins les Beaumont sont sains et saufs et je pense qu’ils ne tarderont guère à nous rejoindre.
— Dieu soit loué ! murmura le dominicain. Mais, Votre Grâce, vos nobles cousins sont-ils…
Il se tut.
— Fiables ? interrogea la reine. Frère Stephen, mis à part les personnes ici présentes, je ne fais confiance à personne !
— Et la trahison à Tynemouth ? voulus-je savoir.
— Dans sa lettre, le gouverneur présente ses excuses, mais admet qu’il aurait été aisé à un félon de se faufiler dans les étroits passages de ce château noyé de brume, d’endommager l’huis d’une poterne et d’en faciliter l’accès à ceux qui étaient dehors.
— Mais qui aurait pu communiquer ce plan aux Écossais ? Le bâtiment était assiégé. Personne n’en pouvait sortir. Les messagers étaient peu nombreux et dispersés.
— Ausel, le templier, pouvait aller et venir sans péril, répliqua Isabelle. Alors pourquoi pas quelqu’un d’autre ? La tour Duckett était notre issue de secoure. Le félon en a peut-être aussi usé pour renseigner les Écossais. Et, ajouta-t-elle, amère, il ne faut pas oublier les signaux envoyés depuis les murailles du château.
— C’est exact, chuchotai-je. Un détachement écossais aurait pu être amené dans la tour Duckett, mais cela aurait été dangereux. La marée pouvait monter et couper toute retraite, sans compter qu’une fois dans la tour, les ennemis
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