Le règne du chaos
parti.
— Vous voulez dire à l’étranger, monseigneur ?
— Je veux dire lorsqu’il ne sera plus. Souvenez-vous-en, Mathilde.
Il me tapota l’épaule, me fit un rapide baiser sur le front et s’en fut à grands pas.
Nous regagnâmes la forteresse sous escorte. À peine arrivés, on nous conduisit au donjon où Gaveston avait rassemblé son conseil. La conversation fut brève mais sans fard. Le gouverneur avoua que les conditions lui convenaient tout à fait et je constatai que le favori ne pouvait plus compter sur lui. Demontaigu, Dunheved et moi pressâmes Gaveston d’accepter. Il hésita un peu, mais en moins d’une heure lui aussi avait prêté serment. On dépêcha à nouveau le dominicain auprès des barons pour leur apprendre que tôt le lendemain matin Gaveston quitterait la place forte.
J’étais satisfaite que c’en fût fini. Je n’avais qu’une envie : rejoindre ma maîtresse. Pourtant, dans la soirée, Dunheved me rendit visite pour m’annoncer que lui, moi et Demontaigu, ferions partie de la suite de Gaveston. Ce dernier arguait que puisque nous avions été témoins du serment de Pembroke et avions joué un rôle essentiel dans les négociations, il n’était que juste et normal que nous l’accompagnions. Nous ne pouvions qu’obtempérer. Curieux, les Beaumont décidèrent de venir avec nous.
Le lendemain matin Gaveston, rasé, bien coiffé, vêtu avec recherche d’habits de velours vert, noir et rouge, monté sur un cheval au poil luisant, aux harnais polis, sortit de la citadelle au son des trompettes et sous les acclamations des soldats. Ce sot croyait les avoir gagnés à sa cause ; il ne comprenait pas qu’ils se réjouissaient que cette sanglante bataille fût terminée.
Pembroke nous attendait. Ayant promis que Gaveston serait traité avec tous les égards qui lui étaient dû, il tint parole. Notre chevauchée dans Scarborough fut un cortège triomphal. Depuis leurs fenêtres drapées de tentures colorées, les habitants criaient, poussaient des vivats, pendant qu’on jonchait notre chemin de verdure. Des bachelettes étaient allées quérir des pétales de fleurs sauvages pour les lancer sur Gaveston. Des prêtres sortaient des églises – avec la croix, l’encens et l’eau bénite – pour nous louer et célébrer notre passage. Ce jour-là le gibet et le pilori étaient vides. Les notables offrirent un petit cadeau à Gaveston, puis nous traversâmes le terrain vague pour pénétrer dans le camp des barons. Hereford et Warwick se firent remarquer par leur absence, mais Pembroke, resplendissant dans ses atours, une chaîne d’argent autour du cou et des bagues scintillant aux doigts, n’en resta pas moins affable. Lui et le favori échangèrent l’ Osculum pacis, le baiser de paix.
Oh, il y eut force festivités et célébrations, pantomime et musique. Les discours, les acclamations, les rebecs, les violes, les harpes, résonnaient partout. Étendards, pennons, bannières multicolores flottaient dans le vent. Pembroke et Gaveston dînèrent en public, installés à une table dressée sur une estrade aux riches tentures au vu de tous. Les valets apportèrent des mets juste préparés : venaison, porc, bœuf, lamproie, ainsi que des pichets du meilleur vin. À la fin du banquet, Pembroke et Gaveston échangèrent à nouveau le baiser de paix et le favori royal déclara à haute voix qu’il se rendrait à Wallingford où il séjournerait pacifiquement jusqu’à ce que la décision de la Communauté du Royaume soit connue. Pembroke, à son tour, annonça qu’il avait prêté un serment solennel : son captif était directement sous sa protection, et il répondrait de lui.
Ensuite, dans l’intimité de la tente, Gaveston exigea, à ma demande pressante, que Pembroke parte pour Wallingford avec un fort détachement et que personne ne soit informé de notre propre itinéraire en direction du sud. Pembroke y consentit, mais promit avec solennité que ses frères les barons respecteraient ses engagements et qu’il ne serait fait aucun mal à quiconque.
CHAPITRE IX
~
Ledit comte avait juré de veiller à la sécurité de Gaveston
Le lendemain matin nous nous éloignâmes de la côte pour emprunter l’ancienne voie romaine qui menait au sud. Le trajet fut agréable. Le soleil était fort, les routes sèches. De chaque côté les champs verdoyaient. C’était alors la première semaine de juin et l’approche de l’été commençait à se faire
Weitere Kostenlose Bücher