Le retour de la mariée
Elle s’humecta les lèvres, puis se lança dans son histoire.
— Depuis qu’il a fait passer devant les tribunaux les meneurs du gang Burrows, Logan Grey est devenu l’idole du public, vous le savez. Mais certaines rumeurs courent sur lui. On prétend ici ou là qu’il n’est pas le preux chevalier que ses laudateurs se plaisent à décrire. A Artesia, les lecteurs du Standard aimeraient en savoir davantage.
Mme Peters pinça les lèvres. Caroline l’intriguait, cela se voyait.
— L’idée me semble intéressante, mais votre directeur risque de vous refuser une enquête sur un sujet aussi délicat. Vous écrivez sous un pseudonyme, naturellement ?
— J’ai la chance d’être la fille du propriétaire du Standard, répondit Caroline. Il publie mes articles sous mon nom.
Le visage de la chroniqueuse s’éclaira.
— Le mien n’a pas toujours été célèbre, dit-elle sur le ton de la confidence. Quand j’ai inauguré ma rubrique « Ne lisez pas, mesdames », je signais « Fleur Bleue ». En trente ans, les choses ont bien changé ! On commence à reconnaître notre valeur, à nous autres femmes.
— Mon père va jusqu’à prétendre que dans le domaine de l’esprit elles sont supérieures aux hommes, renchérit Caroline.
— Comme il a raison ! Voilà ce que j’appelle un visionnaire !
Caroline acquiesça aussi gaiement qu’elle le put. Elle avait envie de pleurer. Ben Whitaker n’était plus le même homme depuis la mort de Suzanne. Le chagrin lui avait fait perdre la raison.
Le plateau bien garni que la serveuse leur apporta sans qu’on lui ait rien demandé était de dimensions exceptionnelles. Wilhelmina Peters, en picorant çà et là, s’appliqua à faire disparaître en priorité les gâteaux assez petits pour qu’elle n’en fasse qu’une bouchée.
— Eh bien j’accepte volontiers de vous venir en aide, dit-elle enfin en s’essuyant les lèvres. Que voulez-vous savoir au juste sur Lucky Logan Grey ?
— En ce qui concerne sa vie professionnelle, ma documentation est assez complète, je crois. Je m’intéresse surtout à sa vie privée, voyez-vous.
Mme Peters se renfrogna en pinçant le nez.
— Vous êtes donc en quête d’indiscrétions, de ragots, conclut-elle en prenant un air dégoûté.
Comme pour se consoler, elle s’empara sur le plateau d’une pièce plus importante.
— Eh bien, reprit-elle en riant, le regard malicieux, vous ne vous êtes pas trompée d’adresse. Je suis celle qu’il vous faut !
Caroline lui sourit, en la regardant finir son gros chou à la crème.
— D’abord, dit Mme Peters, sachez que Logan Grey est la coqueluche de toutes les dames de la ville.
Caroline n’en doutait pas. Elle ajouta un peu de sucre à son thé, auquel elle trouvait soudain un goût amer.
— Il est très bel homme, bien bâti mais assez mince pour attirer l’œil des femmes de tous âges. Un genre désinvolte, qui plaît beaucoup. Puisque vous êtes mariée, je peux vous dire en confidence que les garces du quartier chaud sont nombreuses à vanter son appétit sexuel. Il a un tempérament de feu, m’a-t-on dit.
Pendant que Wilhelmina faisait une pause pour prendre unetranche de cake, Caroline dut remettre du sucre dans sa tasse. Son cake expédié, la vieille femme reprit son compte rendu.
— Il me rappelle tout à fait le Trace MacBride d’il y a une trentaine d’années. Ce cher Trace se plaît maintenant à jouer les patriarches, mais il revient de loin. Les MacBride d’aujourd’hui tiennent le haut du pavé, ils incarnent une sorte d’aristocratie locale, si brillante que tous les journaux, à commencer par le Daily Democrat, rendent compte de leurs réceptions. Mais au début de sa carrière, Trace n’était pas un personnage fréquentable. Entre autres activités douteuses, il tenait un saloon mal famé dans un quartier impossible, et ses trois fillettes se promenaient toutes seules en ville, si vives et délurées qu’elles faisaient un peu peur.
Dans l’intention probable de provoquer le suspens, Wilhelmina Peters jeta son dévolu sur un feuilleté au chocolat. Caroline mit à profit l’interruption pour poser une question qui lui semblait bien naturelle.
— Comment se fait-il que le nom de MacBride se soit perpétué s’il n’a eu que des filles ?
— Ses gendres sont fiers d’appartenir au clan, et leurs femmes ne manquent pas de personnalité. On augurait mal de leur avenir, mais Jenny Fortune a
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