Le retour
Carole.
- Pantoute. Il y
a rien à faire avec le maudit air bête à Gendron. On dirait qu'il peut pas me
sentir.
- Qu'est-ce que
vous diriez d'aller prendre un bon bain chaud? Ça vous ferait du bien, vous pensez
pas?
- On n'est pas
samedi.
- Puis après,
m'man. C'est pas une loi de prendre son bain juste le samedi. Le poêle chauffe.
C'est pas plus difficile de faire chauffer de l'eau et de remplir le bain le
vendredi soir que le samedi soir.
- Ça me tente pas
ben gros, dit sa mère d'une voix lasse.
- Pourtant,
m'man, je suis sûre que ça vous ferait du bien. Après ça, vous vous sentiriez
peut-être assez en forme pour aller magasiner demain.
- Ça, ça me
surprendrait, rétorqua sa mère. Je suis ben trop fatiguée pour aller courir les
magasins.
Il fallait
vraiment que Laurette Morin soit épuisée pour avoir renoncé depuis plus de deux
mois à profiter de ses samedis pour "aller magasiner". Elle avait
toujours tenu, comme à la prunelle de ses yeux, à cette journée de congé
hebdomadaire qu'elle s'octroyait depuis son mariage. Elle l'avait obtenue de
haute lutte en s'opposant à Gérard et à la mère de son mari qui ne comprenaient
pas son besoin de s'évader de son foyer un jour par semaine. Pour elle, le samedi
libre était le symbole de son indépendance et, surtout, du fait qu'elle n'était
pas qu'une servante chez
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elle. Jusqu'à
l'hospitalisation de Gérard, trois ans auparavant, seuls la maladie ou un
événement exceptionnel lui avaient fait renoncer à cette sortie.
Les choses
avaient diamétralement changé lorsqu'elle avait commencé à travailler à
l'extérieur de son foyer.
Comme elle
travaillait cinq jours par semaine, dix heures par jour, il lui fallait bien
trouver le temps d'effectuer les tâches ménagères négligées durant la semaine.
Les enfants avaient beau être pleins de bonne volonté, il n'en restait pas
moins qu'il y avait beaucoup à faire durant les fins de semaine. Alors, peu à
peu, ses sorties du samedi s'étaient espacées progressivement au point que son
dernier " magasinage
", comme
elle disait, remontait au début du mois de mars.
- Il me semble
que si vous sortiez, ça vous changerait les idées, insista Carole.
- Peut-être, mais
dimanche, je dois aller voir ton père au sanatorium. C'est notre tour.
Laurette faisait
allusion à l'entente conclue entre elle et sa belle-famille dès les premières
semaines de l'hospitalisation de son mari au sanatorium Saint-Joseph du
boulevard Rosemont. Comme les religieuses n'appréciaient pas que leurs patients
reçoivent plus de deux visiteurs le dimanche après-midi, il avait été entendu
que Lucille Morin rendrait visite à son fils un dimanche sur deux en compagnie
de Colombe, sa fille, ou de Rosaire, son gendre.
Laurette, peu
désireuse de les rencontrer, avait fait en sorte de se présenter sur les lieux
avec l'un ou l'autre de ses enfants le dimanche suivant.
- Voulez-vous que
j'y aille avec vous dimanche?
proposa Carole.
- T'es ben fine
et je suis sûre que ton père aimerait ça que tu viennes le voir, mais Denise
m'a demandé de venir après-demain.
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- C'est pas
grave, j'irai la prochaine fois.
- Pour demain, il
y a des affaires plus pressées que d'aller se promener sur la rue
Sainte-Catherine, reprit Laurette en jetant un bref coup d'oeil à son fils en
train de tremper une tartine dans la sauce qui restait dans son assiette. Il
fait assez beau pour qu'on enlève les châssis doubles et qu'on installe les
jalousies. C'est aussi le temps qu'on pense au grand ménage du printemps. Si on
n'a pas les moyens de peinturer, on peut au moins laver les plafonds et les
murs.
La mère attendit
une réaction de son fils aîné, mais Jean-Louis ne broncha pas. Il fit la sourde
oreille.
- Je peux vous
aider, m'man, proposa Carole. Je vais faire mes devoirs à soir.
- Oter les
châssis doubles et installer les jalousies, c'est des jobs ben trop dures pour
des femmes, insista Laurette. C'est trop pesant pour nous autres.
La mère de
famille allait s'adresser directement à Jean-
Louis quand la
porte d'entrée s'ouvrit à la volée et alla frapper le mur.
- Bonsoir tout le
monde! fit une voix dans l'entrée, au bout du couloir.
- Bon. Vlà
l'énervé! s'exclama Laurette.
- Ote tes
souliers pour pas salir mon plancher, ordonna Carole à son frère Richard.
- Dépêche-toi
aussi d'ôter tes
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