Le retour
Gérard.
- De toute façon,
je travaille et je peux pas manquer.
Mon foreman serait
trop content de me sacrer dehors. Puis tous les enfants travaillent.
- C'est sûr,
reconnut son mari qui ne voyait pas où elle voulait en venir.
- Ça fait que
c'est toi qui vas aller le voir à sa job, demain matin, pour lui parler et lui
dire de revenir.
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CHERI! LAURETTE -
Il est majeur, Laurette. Il a le droit de faire ce qu'il veut, ton gars.
- C'est aussi le
tien, tu sauras, Gérard Morin!
s'emporta sa
femme.
- Me vois-tu
aller lui parler devant ceux avec qui il travaille? lui demanda son mari. Je
suis tout de même pas pour me traîner à ses genoux pour le faire revenir,
cybole!
- C'est pas ça
que je te demande. Je veux que tu lui parles, que tu lui demandes pourquoi il
est parti en sauvage.
Je veux que tu
lui dises que sa place est ici, avec nous autres. T'es pas obligé de lui parler
dans le magasin. Il commence à travailler à huit heures et demie. T'as juste à
être devant le magasin à huit heures et tu vas être capable de lui parler avant
qu'il entre chez Dupuis et ce sera pas gênant.
Gérard Morin
discuta encore quelques instants avec sa femme pour la faire revenir sur son
idée de l'envoyer parler à son fils aîné, mais rien n'y fit. Il finit par
accepter quand elle menaça d'y aller, au risque de perdre son emploi chez Viau.
Vers onze heures,
le couple se retira dans sa chambre à coucher.
- Éteignez votre
lumière, dit Laurette à ses fils en passant devant la porte de leur chambre
sous laquelle filtrait de la lumière. Vous travaillez demain matin.
Cette nuit-là, le
mari et la femme dormirent très mal.
Gérard aurait
probablement trouvé plus facilement le sommeil après cette journée passée au
soleil si sa femme n'avait pas bougé durant toute la nuit. Cette dernière, les
yeux grands ouverts dans le noir, cherchait désespérément à comprendre ce qui
avait pu pousser son fils préféré à fuir le toit familial.
Elle le revoyait
bébé. Il avait été un si beau bébé et tellement facile à vivre. Son Jean-Louis
avait été un enfant
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si doux, si
tranquille, qui ne cherchait jamais à s'éloigner d'elle. Combien d'heures elle
l'avait promené dans son vieux landau, uniquement pour le plaisir de se faire
dire par les passants combien c'était un joli petit garçon.
Bien sûr, il
avait éprouvé des difficultés à l'école dès sa première année, mais jamais
aucun instituteur de l'école Champlain n'avait eu un seul mot à dire contre son
comportement.
Quand l'un d'eux
insinuait que ses piètres résultats scolaires étaient dus à sa paresse, elle se
précipitait à l'institution pour le rencontrer et lui faire comprendre que
"son Jean-Louis" faisait vraiment tout ce qu'il pouvait pour réussir.
Cependant, même s'il avait dû reprendre sa sixième et sa septième année, il
n'avait pas lâché et il avait fini par obtenir son diplôme d'études primaires.
Jean-Louis avait
changé ces dernières années. Cela, elle le reconnaissait volontiers. Il était
devenu plus renfermé, plus secret. Il ne lui disait presque plus rien. Avant la
maladie de Gérard, elle aimait se lever en même temps que lui le samedi matin
pour lui préparer un bon déjeuner et lui parler en tête-à-tête. C'était le seul
jour de la semaine où tout le monde, dans la maison, dormait un peu plus tard.
À cette époque, qui lui semblait maintenant lointaine, elle prenait plaisir à
entretenir avec soin ses costumes et ses chemises qu'il portait à son travail.
Elle appréciait alors de ne pas avoir à le partager avec une jeune fille qui
l'aurait monopolisé.
- C'est à cause
de ce maudit Jacques Cormier-là, se dit-elle au moment où une rare voiture passait
sur la rue Emmett.
Laurette jeta un
coup d'oeil au réveille-matin Westclock posé sur la table de nuit: trois heures
trente. Selon elle, son fils avait commencé à changer à compter du jour où il
s'était mis à fréquenter Jacques Cormier, un comptable chez Dupuis âgé d'une
dizaine d'années de plus que son
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Jean-Louis. Sous
le prétexte de l'aider à devenir commis-
comptable, il
s'était mis à l'influencer. En quelques semaines, ils étaient devenus
inséparables.
- Comme si
c'était normal qu'un gars de presque trente-cinq ans ait même pas une femme et
des enfants, murmura Laurette en changeant de position dans le lit pour la
centième
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