Le retour
fois.
La mère de
famille avait beau se dire et se répéter cela, elle n'en tirait nullement les
conclusions qu'un étranger aurait pu en tirer de l'étrange amitié qui semblait
unir son fils à son collègue de travail.
Laurette avait dû
finir par s'endormir parce que la sonnerie du réveille-matin la fit sursauter.
Elle allongea le bras et la fit taire avant de s'asseoir péniblement dans le
lit. Elle se leva, glissa ses pieds dans ses vieilles pantoufles éculées et
sortit de la chambre en traînant les pieds.
L'horloge de la
cuisine indiquait cinq heures quarante-
cinq.
Elle mit de l'eau
à bouillir sur le poêle et se planta devant la fenêtre de la cuisine. Le jour
était levé, mais le ciel était gris. Elle alluma sa première cigarette de la
journée et se mit à préparer les deux sandwichs qui constitueraient son dîner
en attendant que l'eau soit chaude. Elle était en train de glisser son repas
dans un sac quand ses enfants entrèrent dans la cuisine les uns après les
autres.
La mère de
famille but sa tasse de café et se leva.
- Vous déjeunez
pas, m'man? lui demanda Denise en lui tendant l'une des deux rôties qu'elle
venait de retirer du grille-pain.
- J'ai pas faim,
répondit-elle.
Les enfants se
regardèrent, étonnés. Leur mère avait habituellement un solide appétit. Ils ne
se rappelaient pas
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l'avoir déjà vue
quitter la maison le matin sans avoir pris d'abord un copieux repas.
Laurette entra
dans sa chambre, s'habilla et se peigna.
Au moment de
quitter la pièce, elle secoua son mari pour le réveiller.
- Je pars
travailler, lui dit-elle. Tu ferais mieux de te lever et de pas traîner si tu
veux être capable de parler à ton garçon à matin.
- Est-ce que
c'est ben nécessaire, cette affaire-là?
demanda Gérard
d'une voix ensommeillée. J'ai presque pas dormi de la nuit avec toi qui as pas
arrêté de grouiller.
- Si t'as pas
dormi, c'était mauditement ben imité, répliqua Laurette avec humeur. T'as pas
arrêté de ronfler.
À part ça,
compte-toi chanceux de pas avoir à aller travailler à matin. Moi, j'ai pas
fermé l'oeil de la nuit et je dois aller à la biscuiterie, même si ça me tente
pas pantoute.
Sur ces mots bien
sentis, elle quitta la chambre à coucher et alla prendre ses sandwichs dans la
cuisine. Avant de partir pour le travail, elle prit la peine de dire à ses
enfants:
- Laissez-moi pas
une maison tout en démanche.
Démettez la table
et faites votre lit avant de vous en aller.
Et lavez votre
vaisselle.
Quelques minutes
plus tard, tous les Morin avaient quitté le toit familial. Gérard fut le
dernier à partir. Il se dirigea sans grand enthousiasme vers la rue Fullum
qu'il remonta jusqu'au coin de Sainte-Catherine où il monta dans un tramway
bondé en compagnie d'une dizaine de travailleurs à l'air maussade en route pour
une journée
de travail.
Cela lui semblait
bizarre d'être obligé de voyager debout au milieu de cette foule alors que
d'habitude, il ne partait qu'un peu avant dix heures pour le parc Lafontaine.
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Il descendit coin
Saint-André, devant l'énorme magasin
Dupuis frères.
Gérard en était à se demander quelle porte les employés empruntaient pour
entrer au travail quand il aperçut soudain Jean-Louis venant vers lui, en
grande conversation avec un type qui semblait un peu plus âgé que lui. Il
reconnut vaguement l'homme qu'il avait rencontré durant quelques minutes, plus
de trois ans auparavant.
De toute évidence,
son fils ne l'avait pas vu.
Quand Jean-Louis
Morin aperçut son père, le sang sembla se retirer brusquement de son visage. Il
dit quelque chose à son compagnon avant de se diriger vers son père.
- Bonjour, p'pa,
dit-il, l'air mal à l'aise.
- Il faut croire
qu'on est obligé de venir te courir à l'ouvrage si on veut savoir ce qui se
passe, lui dit sèchement son père.
Jean-Louis
demeura sans voix et suivit son père qui s'était rapproché de l'une des
vitrines du magasin pour ne pas nuire aux passants en demeurant au centre du
trottoir.
- Qu'est-ce qui
t'est passé par la tête de partir comme ça de la maison, sans avertir personne?
lui demanda Gérard après avoir allumé une cigarette.
- Je voulais pas
me chicaner avec m'man, se contenta de répondre son fils.
- Comment ça?
- Vous la
connaissez, p'pa. Si je lui avais dit que je voulais aller rester
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