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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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aujourd’hui c’est l’Autriche. Le peuple s’aigrit à tenter de suivre les girouettes de la politique et ne voit que l’argent qui s’écoule dans un flot ininterrompu. L’heure n’est pas aux dépenses, elle n’est pas davantage aux fêtes. Croyez-moi, ma sœur, attendons deux ans. Tout se fera dans le calme. Le roi sera vainqueur et le peuple content, la place sera en partie aménagée et la statue sera prête. Il ne convient pas de se hâter pour un aussi grand et aussi beau projet.
    — Vous êtes le Directeur des Bâtiments, dit enfin Jeanne, glaciale.
    Était-elle ironique ? Abel n’apprécia pas du tout la remarque.
    — Et je vous le dois.
    Abel s’inclina pour prendre congé et sortit. Jeanne ne le rappela pas.

Si le mois d’août de l’année 1758 ne vit pas la dédicace de la statue équestre du roi comme le souhaitait si ardemment la marquise de Pompadour, on y célébra une autre cérémonie tout autant symbolique qui marquait le début d’un chantier d’importance. Le 3 août, l’abbé de Sainte-Geneviève bénit le terrain choisi pour l’élévation de la nouvelle abbatiale. Dès lors les travaux de fondation pouvaient commencer. Marigny et Soufflot assistaient à la bénédiction solennelle. C’est peu de dire que le moment était pour eux chargé d’émotion. Ils en étaient encore tout imprégnés quand ils regagnèrent ensemble la rue Saint-Thomas-du-Louvre.
    — Nous y sommes donc, Soufflot ! se félicita Marigny, manifestement euphorique.

    Soufflot l’observait, un peu amusé. Marigny se contrôlait le plus souvent et quand il laissait affleurer une émotion, et c’était bien peu, et c’était bien rare, c’était plus souvent un agacement qu’un contentement. En acceptant sa charge il avait une fois pour toutes endossé une armure d’apparent détachement. Il ne jugeait pas, il ne préférait pas, il ne condamnait pas, et les décisions qu’il prenait n’étaient jamais le fait de l’impression ou du trouble. Qu’on le sache et qu’on sele dise ! Mais en cet instant Soufflot retrouvait le compagnon amical du voyage d’Italie. Il est vrai qu’ils étaient seuls. En compagnie, à part celle de Cochin, Marigny, sans jamais se départir de sa bienveillance ni déguiser l’estime qu’il avait pour ses collaborateurs les plus proches, gardait toujours une distance, si infime fût-elle. En public il était toujours le Directeur des Bâtiments. Pour un moment Marigny s’accordait de redevenir Vandières qui n’était encore ni Directeur ni marquis.
    — Vous allez vite, monsieur ! La construction n’est pas pour demain.
    Cette fois c’était Soufflot qui avait remis la distance. Cochin aussi bien que lui-même n’appelait jamais Marigny autrement que « monsieur » et le respect qu’ils lui témoignaient l’un et l’autre ne retirait rien à leur belle amitié. Il ne s’agissait que de convenances mais les balayer n’aurait apporté que désordre.
    — Parlez-moi de Sainte-Geneviève ! Vous m’avez déjà montré quelques croquis mais je ne suis pas architecte… j’ai besoin que vous mettiez des mots sur tout cela. Qu’allez-vous faire ? Comment ? Pourquoi ?
    — L’architecture est une science qui ne supporte pas l’approximation. Tout se calcule, se mesure. Vous savez bien, monsieur, qu’un bâtiment doit d’abord tenir debout ! Cela ne s’improvise pas !
    — J’en suis persuadé, mais…
    — Mais ?
    — Que diriez-vous à un béotien pour lui vendre votre projet ?
    Soufflot eut un grand rire et cela n’arrivait pas souvent, l’architecte était aimable, souriant, mais incroyablement réservé.
    — Il me semble bien, monsieur, que sans vous embarrasser de détails techniques vous avez vendu mon projet aux génovéfains, et au roi !
    — Alors il est bien temps de me donner les arguments que j’aurais dû avancer.
    — Que dire ?
    Soufflot avait repris l’air grave qui était souvent le sien. Marigny le connaissait bien. Il jubilait, Soufflot dans un instant allait rêver à voix haute.
    — Ah, soupira-t-il, cette église sera moderne.
    Voilà, le grand mot était lâché ! Moderne ? Il fallait comprendre par là ce que l’on faisait depuis une centaine d’années, pas davantage… Et ce qu’on faisait en Italie ! Il ne fallait pas non plus négliger ce qui s’était fait en Angleterre. Les Anglais avaient beaucoup visité l’Italie.
    — On vous soupçonne plutôt de revenir à l’antiquité

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