Le rêve de Marigny
sacrifice.
— Je ne veux pas, madame, d’un sacrifice ! Vous avez hâte de me voir parti, soyez satisfaite, ce sera fait demain à la première heure.
— Faites, monsieur, mais sachez que j’étais disposée à vous aimer. Vous me forcez à vous haïr !
De retour à Paris et d’humeur massacrante Marigny retomba aussitôt dans la querelle des architectes. L’Académie avait présenté un nouveau mémoire au roi et lui avait envoyé une députation. C’était trop ! Les députés de l’Académie ne furent pas reçus et Marigny répondit avec toute la rigueur de sa colère. L’Académie était dissoute et tous les membres en étaient démis. Le roi substituerait un établissement nouveau à cette institution. Le secrétaire devait rendre tous les registres et le premier commis fermerait les portes et emporterait les clés. Les fauteurs de trouble et Gabriel le premier en restèrent ébahis. On argumentait seulement ! Était-on en guerre ?
Dans le même temps la marquise de Marigny avait enfin regagné Paris. Madame Filleul, cette fois au plus mal, avait voulu mourir chez elle. Les circonstances jouaient en faveur d’une réconciliation conjugale.Marigny avait toujours été enclin à supposer que madame Filleul nuisait à la bonne harmonie de son ménage, Julie orpheline allait peut-être enfin grandir et devenir véritablement une épouse. La paix dans son ménage valait bien la paix aux Bâtiments. Marigny se sentait pris d’une vague d’indulgence pour les architectes. Il adressa aux académiciens une lettre annulant les mesures qu’il avait prises contre eux. Soulagés, les architectes, ayant récupéré clefs du logis et registres, se réinstallèrent au Louvre. L’apaisement leur inspira une lettre d’allégeance au Directeur des Bâtiments, ils saluèrent sa bienveillance et rappelèrent combien ils appréciaient son estime.
Marigny en fut bien aise. Pour rien au monde il n’aurait voulu céder à une mutinerie fomentée par Gabriel dont les airs de chattemite ne trompaient personne, mais Dieu savait s’il les aimait ses architectes. Pourquoi eux ? Eux plutôt que les peintres qu’il admirait, les sculpteurs qui le touchaient au cœur, les ébénistes dont l’habileté le confondait, les céramistes qui l’éblouissaient. Tous avaient du talent, parfois du génie, il les estimait et les respectait, mais il aimait ses architectes comme le raillait si bien Cochin. Au fond de lui-même il savait bien pourquoi. Ceux-là bâtissaient bien plus que des maisons, des monuments, ils posaient les jalons de l’avenir, les repères de demain. Par le miracle de leur création, la ville, et la vie par là même, ne serait plus jamais pareille. Il y avait dans leur œuvre quelque chose d’immuable qui s’apparentait à l’éternité. Cochin pouvait bien lui dire que l’œuvre des peintres et celle des sculpteurs ne disparaîtraient pas avec eux, c’était évident mais combien différent. Qui dans l’avenircontemplerait leurs ouvrages et s’en émerveillerait ? Une poignée d’hommes, amateurs éclairés, assez riches pour les acquérir. C’était restrictif. Depuis la première exposition des peintures du roi qu’il avait organisée au palais du Luxembourg avec son oncle Tournehem, il ne pensait qu’à recommencer. Il rêvait de musées où chacun pourrait venir se repaître de beauté. Un jour cela se ferait. Mais qui viendrait ? Une autre poignée d’hommes qu’une éducation soignée aurait préparés à cette rencontre. Tous les artistes de Cochin, et ils étaient admirables, ne seraient jamais connus que de quelques-uns. Demain à Paris, à Lyon, les promeneurs, les étrangers, et ceux qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes déambuleraient dans les avenues qu’on venait tout juste de percer, auraient sous les yeux à longueur de temps, à longueur de marche, l’œuvre de Soufflot, de Contant d’Ivry, de De Wailly, et… de Gabriel ! Pourraient-ils imaginer que Paris existait sans Sainte-Geneviève, sans La Madeleine, sans la place Louis-XV ? Sans la belle promenade des Champs-Élysées ? Sans le théâtre qu’on finirait bien par construire pour les comédiens français ? Les architectes donnaient un autre visage à l’avenir. C’est pour cela qu’il les admirait et qu’il les portait en son cœur, malgré le caractère de chien qu’il fallait pourtant aussi leur reconnaître ! Il était à nouveau en paix avec eux, il en était heureux.
Il
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