Le rêve de Marigny
jusque-là tout était ordinaire entre gens civilisés. La difficulté surgit du fait que sa disparition libérait une place dans la première classe de l’Académie et que ceux de la seconde classe tout naturellement y aspiraient. Le cas se produisait assez souvent pour qu’on pût le surmonter. Trois candidats se firent jour, Hazon, Perronet, et Franque. Le 4 mai 1767, Gabriel directeur del’Académie fit la lecture officielle de la lettre de Marigny annonçant que le roi avait nommé Hazon, contrôleur de Bâtiments, pour la première classe de l’académie. Bien évidemment le roi nommait celui que Marigny avait choisi. La procédure restait normale, même si Gabriel enrageait que la décision vînt du Directeur des Bâtiments. Les choses se compliquèrent par le fait que depuis 1756 on réservait une place vacante dans la première classe au cas où se présenterait un architecte particulièrement doué qui pourrait accéder directement à la première classe. Le jour était venu d’utiliser cette clause, l’architecte De Wailly l’occuperait. Personne n’ignorait que De Wailly était apprécié de Marigny qui lui avait confié l’arrangement de ses jardins à Ménars, Soufflot répugnant aux chinoiseries. Cette fois, c’était trop, Gabriel décida d’une lutte ouverte avec le Directeur des Bâtiments.
L’Architecte du Roi n’eut aucune difficulté à faire admettre aux gens de la deuxième classe ce que la nomination de De Wailly avait d’humiliant pour eux. On oublia les lettres patentes de 1756 pour revenir à celles de 1717 qui stipulaient que seuls les architectes de la deuxième classe pouvaient être promus à la première et on s’empressa de faire des représentations, respectueuses mais énergiques, à celui qu’entre soi on appelait encore le surintendant pour fustiger son orgueil. Quatre architectes de deuxième classe signèrent seuls la lettre de contestation, on pouvait cependant supposer que les autres en étaient solidaires. Marigny répondit avec la fermeté qu’on lui connaissait. Le roi n’avait fait qu’userd’un droit qui lui appartenait. Le roi ? Se moquait-on de l’Académie ? Les « représentations » ne cessèrent pas. Les académiciens écrivirent encore par deux fois. Marigny perdit patience. Il prit sa plume. « Sa Majesté m’ordonne de mander à son Académie qu’elle est très mécontente de la voir réclamer contre une grâce qu’elle a jugé à propos de faire… » Personne n’était dupe. Gabriel s’abritait derrière l’Académie pour mettre Marigny en difficulté, Marigny tranchait au nom du roi.
L’affaire était d’autant plus malvenue que Marigny avait quelques soucis domestiques. Sa jeune épouse peinait à quitter le giron maternel, à seize ans à peine on pouvait le comprendre, mais Abel avait déjà tant de soucis avec les architectes que les états d’âme de sa jeune femme l’agaçaient un peu. Pour ne rien arranger l’encombrante belle-mère était malade. Marmontel la disait mourante, mais c’était un romancier, il exagérait tout ! La dame enfin s’était décidée à partir prendre les eaux à Spa et à Aix-la-Chapelle, Marmontel qui l’adulait l’accompagnait. La présence de la trop jolie madame de Seran y était-elle pour quelque chose ? Marmontel aimait les jolies femmes, c’était bien connu et la morale restait encore pour lui seulement un genre littéraire qui se vendait bien. Marigny allait peut-être pouvoir souffler et retrouver en son hôtel une vie conjugale paisible. Non ! Julie n’avait de cesse que d’aller retrouver sa chère maman et Marigny qui n’entendait pas cesser de jouer les époux empressés se vit acculé à demander au roi l’autorisation de se rendre à Spa. Marigny aux eaux ! Marigny l’impatient, qui ne savait demeurer enplace et cultivait toujours plusieurs projets dans le même temps. Comment survivrait-il ? Car l’affaire était conclue, la faveur accordée. Le Directeur des Bâtiments partait aux eaux de Spa, et c’était pour quatre mois. Il y avait là autant de raisons de mourir d’ennui qu’il y avait de jours en quatre mois !
En fait Marigny n’avait pas l’intention de succomber à la lassitude inévitablement générée par la compagnie quotidienne de madame Filleul, aggravée par le commerce obligé avec la peu fiable dame Seran. Il avait demandé le quitus pour revenir par les Pays-Bas et y visiter les musées. Quatre mois en compagnie de madame
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