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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Taoufik Ben Brik
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fabriqué une bombe. J’ai entouré sa dynamite d’une enveloppe de raisonnement ; je lui ai mis une traînée de poudre d’humour. Une fois fabriquée, je l’ai jetée […] Et l’effet a été non seulement retentissant mais miraculeux : ils ont perdu la tête sans l’avoir  1  ! »
    Ce jour-là, l’agence de presse Syfia balance mon reportage : « Le marché des trafics a flambé. » Un article de trop. Je me suis trop approché de la grotte de l’ogre. Tant que je rôdais dans les parages des marécages du monstre du Loch Ness, que je parlais de torture, de la prise en otage de familles entières, de l’État policier, du règne de la délation, du musellement des Tunisiens, du déni de justice, parfait, on me laissait faire. Je n’étais pour les « 7 familles » qui pillent la Tunisie qu’un petit merdeux qui effleurait des sujets déjà déflorés. Rien de bien grave. Mais à partir du moment où j’ai commencé à fourrer mon nez dans leurs poches pour sentir l’odeur de leur argent, là, je suis devenu un problème plus sérieux, à résoudre au plus vite. Pas question pour elles que j’aille plus loin. Il fallait que je le comprenne et vite. On ne plaisante pas avec le gagne-pain de la Cosa Nostra.
    Sinon, à quoi serviraient cent trente mille policiers, les usines de torture, l’obligation de silence, le délabrement de la justice, l’accaparement de l’espace public, la criminalisation de l’État ? À quoi servirait la perfection de cette stratégie basée sur la peur, si le premier venu se mettait à divaguer sur le hold-up perpétré par la
couscous-connection
 ?
    Entre nous, je ne voulais pas l’écrire ce putain d’article. Je ne suis pas candidat au suicide. Je savais qu’il me coûterait très, très cher. Ils n’hésiteraient pas à me couper le zizi et à me le foutre dans la bouche, si je faisais le moindre pas en direction de la caverne de Ben Ali Baba.
Un homme a fait une erreur, la mafia corrige
.
    Depuis treize ans, j’écris sur tout, mais presque rien sur la corruption. Je l’ai toujours royalement ignorée, alors qu’elle est partout. Tout est géré par les « 7 familles » : les bananes portoricaines, les cravates thaïlandaises, le marbre italien, le pois chiche tunisien, la fripe, les antennes paraboliques algériennes, les troupeaux de moutons qui changent de nationalité, l’exportation de la sardine, le pèlerinage à La Mecque, le marché des visas, le change parallèle, les marchés publics et privés, les commissions, le racket. Tout a un prix : les postes dans les consulats, les patentes au marché, les licences de taxi, les permis de conduire, de construire… Rien ne leur échappe, même pas les marchés les plus mesquins. Les petits ruisseaux ne font-ils pas les grandes rivières ? C’est la Compagnie des Indes dirigée par le dinar-harissa.
    Un tabou étalé sans vergogne, rutilant à l’image de leurs blousons Anthony Delon, de leurs Alfa Romeo aux sièges de cuir, de leurs virées nocturnes dans leurs night-clubs – La Baraka, Manhattan, Monseigneur ou le Crazy Horse –, de leurs portables, de leurs Ray-Ban, de leurs nanas, de ce fric qu’ils aiment dépenser sans retenue.
    Une mafia de basse-cour, de parvenus, de petits voyous de quartier, des zingueurs qui vont jusqu’à te démanteler ta pauvre chaudière, pièce par pièce, et qui ne te la remettent en état que si tu paies. Rien à voir avec l’opacité de la « Société honorable », « les amis des amis » qui méprisent la frime, cachent leur opulence et ne s’intéressent qu’à la puissance que procurent les grandes affaires. Fervent lecteur de Mario Puzzo, auteur du
Parrain
, comment aurais-je pu ignorer qu’avec la mafia on peut parler de ses caporégimes, de ses contrats expéditifs, de ses liaisons troubles avec les politiques et les religieux, de ses guerres fratricides, de l’ascension ou la chute d’un
Don
, mais jamais d’argent ?
Omerta
, noire et absolue, exigée.
    Alors pourquoi l’ai-je fait cet article ? Je n’arrête pas de me poser cette question.
    Dans la nuit du 24 février, j’étais au Club des avocats,
Nadi el mouhamiyine
, l’ancienne villa de Mohammed M’zali, l’ancien Premier ministre de Bourguiba, aujourd’hui exilé et dont l’État a confisqué les biens, à la Soukra, une banlieue de Tunis. L’intérêt de ce club, c’est le prix de la bière : trois fois rien. L’inconvénient, c’est qu’il faut se farcir

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