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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Taoufik Ben Brik
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qui vaut tous les honneurs du palais du Bardo ». Abdellah Essahar, l’homme-cheval dont les pieds n’ont jamais foulé la terre, qui arma plus de mille Bédouins montés sur des alezans à la robe tachetée et marcha sur la capitale pour renverser le bey, en 1864. Ses quatorze enfants périrent lors de cette chevauchée fantastique. On dit que son regard bleu acier transformait l’eau en glace. Son burnous devenait des ailes, volait dans les airs. Il mangeait des quintaux de couscous garni de dix antenais. Ses excréments étaient aussi phénoménaux que ceux d’un éléphant.
    La belle Lalla Tourkiya qui, son mari parti pour un long pèlerinage à La Mecque, se retrouva seule face à la convoitise des hommes. Chaque fois qu’ils tentaient de s’introduire dans sa demeure, elle tissait avec les rayons de lune une échelle pour monter sur les toits.
    Je ne me lassais pas des aventures de ce fellaga, Abbas Lagra, ce maquisard, égorgeur de colons français. La légende le chantait sur les places publiques, fort comme un taureau, beau comme le soleil, alors qu’il était petit homme, teigneux. Seuls ses yeux étaient de braise. Une nuit, alors qu’il fuyait l’ennemi, il trouva refuge chez une femme de petite vertu qui le prenait de haut. Elle attendit qu’il s’endormît avant de s’amuser à le mesurer avec ses doigts, arrivée à hauteur de son cœur, il lui saisit la main. « Un homme, lui dit-il, ne se mesure qu’à la grandeur de son cœur. » Et c’est justement ce cœur qui le perdit. Il mourut trahi par son ami et cousin germain qui l’abattit pendant qu’il dormait dans une grotte, en échange d’un troupeau de moutons, quelques brebis et une ferme désolée près de Sarat, l’oued dingue qui emporta plus de dix-sept ponts.
    Il faut encore aller plus loin dans le livre des secrets pour s’armer contre la réalité. Combat, bravoure, courage, amitié, traîtrise, mort, magie sont les maîtres mots des légendes qui m’ont été transmises.
    Je me souviens, enfant, avoir joué à la guerre des boutons, guettant en bande, derrière des rochers et des arbres, nos rivaux, les laissant s’approcher de nos vergers et, dès qu’ils tentaient de rejoindre leur quartier, prenant position sur le flanc des montagnes, en haut du ravin, leur coupant alors toute retraite. Tant qu’ils ne nous avaient pas cédé leur butin, armés de tir-boulettes assassins, nous les encerclions et les criblions de pierres. Ainsi, nous imitions ces stratèges mythiques qui habitent la mémoire des Arabes.
    Ali Ibn Abi Taleb, le premier sabre de l’islam, le preux chevalier toujours prêt au duel ; Skander Dhou El Karneïne, Alexandre aux deux cornes, le conquérant ; Hannibal Barka, fils d’Amilcar Barka, qui envahit Rome sur des éléphants par les Alpes alors qu’il était attendu par la mer, utilisant ainsi, le premier, l’arme lourde ; Khaled Ibn El Walid, qui battit le Prophète avant de devenir son bras armé ; Tarek Ibn Ziyad, le conquérant de l’Andalousie qui a brûlé sa flotte en clamant « La mer est derrière vous et l’ennemi devant vous », ne laissant à ses compagnons d’autre choix que de brandir le glaive. El Kahina, cette reine berbère, qui incendia les immenses forêts de l’Ifriqiya pour chasser l’envahisseur arabe. L’émir Abd El Kader, ce poète mystique, qui soulèvera les tribus de l’ouest contre l’armée de Napoléon III. Abdelkrim El Khattabi qui défia avec son armée de gueux trois empires : portugais, français et espagnol. Omar El Mokhtar, le renard du désert qui s’enterrait sous le sable avec ses compagnons, avant de s’abattre sur les soldats de l’armée italienne… Et Spartacus, mon Che.
    Ma planète est ainsi peuplée de conquérants, de maquisards rebelles, de batailles, des frissons que procurent les défaites et les victoires. Ces hommes avaient toujours un livre ou un poète à proximité de leurs bivouacs. Tous ont en commun l’art de la ruse. Pour eux, la guerre se gagne par la traîtrise, l’embuscade et la surprise. Ils fuient devant un ennemi dix fois plus fort avant de le harceler dès qu’il campe. Ils font croire à leurs adversaires qu’ils sont plus nombreux qu’eux, avec leurs cris, le boucan de leurs tambourins, de leurs chants gutturaux. Ils soulèvent des tornades de poussière en attachant à la queue de leurs canassons des buissons d’alfa. Puis ils les contournent et les frappent au moment où ils s’y attendent le

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