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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Taoufik Ben Brik
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J’ai même pensé à mettre mes enfants en vente le jour du marché hebdomadaire. Quelle horreur ! Prendre les armes et monter au maquis ? Je ne suis pas Memed le Mince, Allah, Allah ! Tais-toi, tu dérailles. La seule arme en ta possession, c’est le pistolet à eau de ton fils. Choisir la voie du samouraï ? Je ne suis pas Yukio Mishima. Je ne me ferai pas hara-kiri. Lui, du reste, il pouvait se le permettre, il laissait derrière lui
La Mer de la fertilité
.
    J’étais chez moi, fixant mes murs sur lesquels sont collés deux posters : Gandhi et Chariot. L’heure n’est malheureusement plus au cinéma… il me reste Gandhi. Cet homme fluet, drapé d’une étoffe blanche de pèlerin, à la silhouette de sauterelle. Il respire la famine, Bombay, la galette de pain à partager entre vingt mille personnes. Rien en lui n’évoque
Les Temps modernes
. Il est seul maître à bord de son corps. Il combat sans combattre. C’est l’Accroupi. L’Immobile. Une immobilité qui provoque le mouvement. Gandhi est le dernier des mystiques : « Nommez-moi offrande et je m’offrirai. » Et il s’offrit. Il s’offrit dans un long jeûne. Tout est dans ce temps qui s’écoule lentement vers l’épuisement pendant que témoins, ennemis, amis, souffrent. Mourir de faim : une mise à mort primitive.
    Je retourne à mes murs, à mes innées : Chariot et Gandhi. Gandhi est le héros de la tragédie antique luttant contre le destin au nom d’un idéal historique. Chariot, lui, a pour unique ambition de sauver sa peau, coûte que coûte. « Charlot est la figure parfaite de “l’anti-héros” de notre siècle, qui souffre, combat, endure, accomplit des miracles qu’on se laisserait volontiers aller à qualifier d’héroïques si, précisément, l’héroïsme proprement dit dans sa double dimension, idéologique et collective, ne lui était pas étranger  2 . » Je serai Charlot jouant Gandhi.
    L’affaire devient sérieuse : ne pouffez pas de rire. Il ne me reste plus qu’à trouver le
casus belli
. Comment convaincre le monde que ces dingues ont l’intention de me descendre avec pour seule preuve l’absence, la disparition de la police de la rue 7134 ? On me prendrait pour un rigolo suspect. « Mais non, Taoufik, ce n’est pas dans leur style. » Je suis comme ce berger qui, à force de crier au loup, se retrouve seul le jour où la bête est dans l’enclos. Quand on coupe ma ligne de téléphone, je fais le tintamarre du siècle. Quand on me pourchasse, je crie au Ku Klux Klan. Quand on viole mon domicile, je dis que les envahisseurs sont parmi nous. Les spectateurs en ont marre du feuilleton brikien. « Trop de Taoufik, Taoufik est trop. »
    Dans la tourmente, souviens-toi, cherche un frère. « Avec ce frère en esprit tu pourras suivre le chemin dans l’harmonie. Quand il faiblira, c’est toi qui prendras les rames. Quand tu dormiras, c’est lui qui prendra le quart. Quand l’un de vous trébuchera, l’autre sera là pour le relever. Quand l’un sera malade, l’autre le soignera  3  », enseigne Lucas Esterella Schultz.
    Fabrice Boulé. Derrière ce nom nigérian, se cache un authentique Helvétique, époux d’une splendide femme afghane, et l’un des responsables d’InfoSud, l’agence pour laquelle je travaille depuis 1992. Créée en 1988, basée à Lausanne, elle propose à des journalistes du Sud de montrer « un autre Sud que celui des catastrophes » dans les médias du Nord. Pauvre, artisanale, InfoSud n’a pas les moyens d’entretenir un bureau à Tunis. J’y travaille pour presque rien. Mais mes employeurs possèdent ce quelque chose qu’on ne peut acheter chez un épicier : le cœur.
    Je connais Fabrice par la voix, au téléphone. Une voix franche qui s’est prise de sympathie pour mes phrases futiles, sa femme lui a peut-être communiqué le goût de la poésie. Cette voix me parle, parfois juste pour s’enthousiasmer de la musique de l’une de mes phrases que les grands journaux auraient charcutée sans aucun scrupule. Comme celle-ci : « Puis, au détour, comme une envolée céleste en plein cœur de l’hiver, la globulaire, pensionnaire exclusive des rocailles, prépare sa précoce floraison. » J’ai la faiblesse de le croire même si je le soupçonne d’en rajouter pour me remonter le moral. Aux apprentis journalistes, on apprend à donner « les faits rien que les faits ».
    Je hais les faits et si j’en rencontre je les passe à la

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