Le rire de la baleine

l’Amérique
, Jérôme Bony de France 2, Daniel Mermet de France Inter, Laurence Bézaguet de
La Tribune de Genève
, Florence Baugé et Jean-Pierre Tuquoi du
Monde
, Mokhtar Gaouad de RFI, Michael Roy du
Courrier
, Pierre Cherriau de
Courrier international
, Roula Khalef du
Financial Times
, Hassane Zerouki de
L’Humanité
, Samir Douayhi de l’AFP et Florence Aubenas de
Libération
.
    À Denise Williams, je demande de faire bouger la presse africaine où Syfia a ses réseaux et à Fabrice Boulé de sonner l’alarme en Asie et en Amérique latine. À Tunis, Sihem Bensedrine et mon frère Jalel vont déployer tous leurs talents de stratèges pour lever une armée de terre. Sihem Bensedrine, séductrice à l’intelligence redoutable, peut me ramener les militants de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, les militantes féministes, les membres du Conseil national pour les libertés, tous ces compagnons que j’ai perdus en cours de route. Jalel, mon frère viking, va m’ouvrir le front algérien, marocain et égyptien, grâce à ses relations dans l’extrême gauche et dans l’intelligentsia du monde arabe.
    J’ai deux autres jokers dans la manche, Najet, mon pigeon voyageur, et maître Chawki Tebib, mon Kissinger. Chawki, président de l’Association tunisienne des jeunes avocats, le seul ami qui me supporte depuis dix-sept ans, est ma porte ouverte sur le palais du dieu Râ. C’est mon homme-passerelle ; modéré, indépendant, il a ses entrées dans des milieux avec lesquels j’ai coupé les ponts depuis dix ans : hommes du pouvoir, associations hostiles. Najet, ma petite sœur en shanghai, mon Hô Chi Minh, têtue, coriace, que peu de choses impressionnent. Je lui dis, sans conviction, de frapper à la porte des Kaiser du monde, elle me prend au mot et elle y va. Le 28 mars, en guise de réponse, Abdallah Kallal fait couper ma ligne téléphonique. Le 29, on me concocte deux procès.
    La police est de retour. J’ai gagné.
    Le 30, je me remets à l’ouvrage. Je rédige ma déclaration de grève de la faim. Je veux qu’elle soit une marche. La montée d’un homme libre qui se prosterne devant ses maîtres, ces superbes va-nu-pieds qui lui ont appris qu’il n’y a aucune excuse à l’avilissement et à la lâcheté.
    Je déclare : « Ce sont eux qui m’ont appris la liberté et le mépris de la mort. » Il me faut un titre. Je serai un arc. C’est l’auteur de
Lettre au Greco
, Nikos Kazantzâkis, qui me l’a remis. C’est lui qui prie :
    Je suis un arc entre tes mains, Seigneur, tends-moi, sinon je pourrirai… Tends-moi tant que tu veux, Seigneur, et tant pis si je casse.
    Tout est à sa place.
    Je vais maintenant rendre visite à ma mère, la seule à laquelle je dois demander :
    « Toi qui m’a donné la vie, est-ce que je peux la mettre en danger ?
    — 
Rabitek rajel, n’habek t’ich rajel oua ila tmaut rajel
… Je t’ai fait homme. Je veux que tu vives et meures en homme. Si tu me reviens vivant, je pousserai des youyous, si tu ne reviens pas, je pousserai des youyous. »
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Fernando Arrabal,
Échecs et Mythes
, Payot, 1984.  ↵
« Charles Chaplin »,
Premier Plan
, n o  28, 24-31 août 1963.  ↵
Lucas Esterella Schultz,
La Sagesse du guerrier
, Éditions de l’Éveil, 1999.  ↵

6
    Toi l’ennemi de ta propre personne, tu donnes un bon avis à la colombe en lui apprenant un moyen détourné pour obtenir sa délivrance, et tu es incapable d’agir de même pour toi, ce qui permet à ton ennemi de te vaincre.
    Abdallah Ibn Al-Mouqaffa
    C’est dans la vieille ville arabe, à la périphérie des grandes portes de la Médina, Bab Menara, Bab Jdid, Bab Souika, Bab El Khadra, que j’installe mon matelas de gréviste de la faim.
    Nous sommes le 3 avril. Il est midi. Place du Zaïm, au 47 rue Abdelwahab à Tunis, à la maison d’édition Aloès, fondée par Sihem Bensedrine. Autrefois, on appelait cette place,
Rahbat el ghlem
, le souk des Moutons. Elle a été débaptisée à l’indépendance pour commémorer le 9 avril 1938, date à laquelle Bourguiba y avait été emprisonné, après de sanglantes manifestations. Ce jour-là, des milliers de Tunisiens avaient revendiqué « un Parlement tunisien ».
    Cette rue serpente le long de petits palais délabrés qui appartiennent aux grandes familles tunisoises, seuls les murs en pierre témoignent de leurs fastes passés. On peut louer ces palais qui menacent ruine pour peu, et même devenir propriétaire