Le Roi amoureux
folie qui avait abaissé son regard jusqu’à un traître.
Léonor, lentement se redressa.
Son limpide regard, son beau regard de bravoure et de loyauté, avec une intrépide et adorable modestie, s’attache aux yeux de François I er :
– Sire, dit-elle, je vous demande justice pour mon époux, Clother, seigneur de Ponthus. Je dénie, même à vous, le droit de déclarer mon seigneur de Ponthus traître à qui ou à quoi que ce soit. Et j’y engage en caution tout ce que je puis posséder tant en Espagne qu’en France, ainsi soit de par le nom d’Ulloa et ma foi de chrétienne. Et c’est pourquoi je vous demande justice pleine et entière.
– Vous l’aurez !
Ce mot, le roi l’a jeté d’une voix sombre où commence à trembler la fureur. Et il ajoute :
– Pleine et entière : les juges en décideront. À Dieu ne plaise que je révoque en doute votre assertion appuyée d’une telle caution. Mais force doit rester à l’autorité du roi. Le sire de Ponthus sera jugé. Innocent, il sera rendu à la liberté. Coupable, il sera frappé. Allez, madame…
Léonor ne s’y trompe pas : c’est la condamnation, une condamnation à mort.
Un instant, elle vacille. Sa fierté surmonte sa faiblesse. Un instant, des paroles de supplication veulent monter de son cœur à ses lèvres. Mais non ! Ce n’est pas une grâce qu’elle est venue solliciter. Elle s’incline devant le roi, mais en exécutant la révérence qu’impose le cérémonial de cour, d’une voix ferme, elle prononce :
– La fille du commandeur Ulloa saura donc, dès ce jour, qu’il n’est pas de justice à attendre du roi de France.
Pour toute réponse, François I er se tourne vers son capitaine des gardes qui, impassible, a assisté à toute cette scène.
– Bervieux, dit-il, l’audience est terminée. Donnez la main à la fille du commandeur Ulloa, que mon cousin l’empereur Charles a instamment recommandée à ma bienveillance, à quoi elle doit de n’avoir pu pousser ma patience à bout. Jusqu’à ce que soit arrêté le rebelle Clother de Ponthus, vous donnerez l’ordre de veiller à ce qu’elle ne puisse sortir de l’hôtel. Allez, madame ; si vous persistez en votre étrange attitude, je serai forcé, à mon grand déplaisir, de vous considérer vous-même comme rebelle.
Chose remarquable : Léonor a quitté le Louvre plus forte qu’elle n’y était entrée. Ce n’est pas qu’ayant atteint le fond même du désespoir, elle y ait puisé ce courage passif que donne, après le doute, la certitude du malheur. Envers et contre tout, jusque devant les juges et jusqu’à la minute suprême, elle est résolue à défendre celui que, par une innocente hardiesse d’anticipation, elle a appelé son époux.
Devant la grille de l’hôtel d’Arronces, on poste des gardes : Léonor est prisonnière. Elle n’y prête aucune attention. Mais alors, la réaction se produit, ses forces sont à bout, son esprit flotte, éperdu. Elle se réfugie dans la prière, elle se rend à la chapelle.
Or ce n’est ni devant l’autel, ni devant le sarcophage du commandeur qu’elle va s’agenouiller : c’est devant la plaque de marbre qui porte le nom d’Agnès de Sennecour !
Et voici comment débute sa prière :
– Ô vous qui êtes morte d’avoir été trompée par le roi François, ô vous qui avez été mise au tombeau par Philippe de Ponthus…
XXII
LA REINE D’ARGOT
Ce jour-là était un dimanche.
C’était le dimanche, premier jour de février de l’an 1540.
Paris apprit sans émotion que les gardes de M. de Croixmart s’étaient battus toute la nuit pour capturer quelques rebelles dans un cabaret de la rue de la Hache : Paris était accoutumé à ces algarades.
Cependant, Croixmart prenait ses dispositions pour un assaut définitif. Il donnait ses ordres aux officiers. Il fractionnait les gardes en trois groupes qui, l’un après l’autre devaient se ruer dans l’auberge… À ce moment, de l’auberge même, une femme sortit. Elle s’arrêta un instant devant la porte béante, et puis elle vint droit au grand prévôt.
La femme était livide. Elle chancelait. Mais il y avait encore dans ses yeux une résolution farouche.
– En voici toujours une, dit Croixmart. Saisissez-la et la conduisez sur l’heure au gibet de la halle. Justice du roi !
La ribaude eut un geste tragique : elle déchira sa robe, mit sa gorge à nu, montra du doigt une large et profonde blessure d’où le
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