Le Roi amoureux
enfin préparer en toute conscience le grand saut du prévôt et de ses gardes…
– Écoutez-moi, madame. Il n’y a pas que le grand prévôt et ses gardiens. Il y a les habitants des logis voisins. Il y a les femmes, les enfants. Je ne veux pas !
– Vous ne voulez pas ? fit en riant Alcyndore.
– Non. Et quand même M. de Croixmart ordonnerait aux gens de la rue de quitter leur logis, je ne veux pas ! De tels moyens ne me conviennent pas. Me battre, frapper ou l’être, homme contre homme, cela suffit. Mais quant à ce que vous avez préparé, je suis décidé à descendre, à saisir l’homme, à le remonter ici pieds et poings liés, à enclouer ensuite solidement le panneau de la cave.
– Vous feriez cela ? dit Alcyndore d’un étrange accent.
– Je vais le faire ! dit Ponthus.
– Inutile !…
Alcyndore prit doucement la main de Clother et plus doucement encore elle lui dit :
– Je suis contente d’avoir combattu pour vous… venez.
Elle descendit dans la cave. Clother la suivit. Elle marcha rapidement, elle courut… Pris d’un effroyable pressentiment, Clother voulut la rejoindre, il s’élança… Trop tard ! trop tard ! En une vision d’horreur qui eut la durée d’un éclair, tandis que son cœur s’arrêtait de battre tandis qu’en un suprême effort de son amour il murmurait : « Adieu, Léonor ! » il vit, oui il vit Alcyndore saisir violemment le flambeau, se pencher, mettre la flamme en contact avec la traînée de poudre… et la poudre se mit à pétiller, puis tout d’un coup s’enflamma, il y eut un jet de fumée noire… Clother ferma les yeux et répéta :
– Adieu, Léonor !… Je t’aimais…
À peine hors de l’auberge, le grand prévôt donna l’ordre. En quelques mots brefs, il expliqua la situation à son lieutenant, M. de Parsac :
– Cette femme a préparé une mine. Il faut la surprendre par une action foudroyante. Dix gardes derrière moi, cela suffit maintenant. Je vais y aller… Silence : c’est à moi d’y aller. Écoutez : si elle a le temps de mettre le feu à la mine, immédiatement après l’explosion, jetez-vous dans les décombres, faites fouiller : je suis sûr qu’il y a un abri pour la femme et pour le rebelle. Vous les prendrez vivants. Et vous rendrez compte au roi que je suis mort en service. Qu’il ait soin de ma fille. Maintenant, faites vivement reculer vos hommes jusqu’aux extrémités de la rue. Vous marcherez aussitôt après l’explosion, si elle a le temps de se produire. Adieu, Parsac.
– Dieu vous garde, monseigneur !
Dix hommes d’armes furent assemblés près du grand prévôt. Le reste, soit environ une centaine de gardes, reflua sur les deux extrémités de la rue.
Croixmart se tourna vers les dix et dit d’une voix calme :
– Suivez-moi.
À ce moment…
Nous avons dit qu’une foule de Parisiens s’étaient amassés aux abords de la rue de la Hache : des gens endimanchés qui allaient et venaient, riaient, se lançaient des quolibets, se disputaient, s’injuriaient, plaisantaient…
– Ah ! ah ! voici du renfort qui arrive !…
– Rangez-vous ! Place ! Place !…
– Écoutez, écoutez ! Les gens du roi viennent à la rescousse !…
Il y eut un mouvement dans la foule, des remous se produisirent, des gens regardaient au loin, les yeux écarquillés par la curiosité, on entendait une sourde rumeur qui rapidement s’approchait, une rumeur de troupe en marche au pas de course et soudain éclatèrent des hurlements d’épouvante, les femmes affolées se ruèrent dans les boutiques, dans les allées des maisons, il y eut des gens renversés, piétinés, la panique se déchaîna, la fuite se fit éperdue et un cri terrible gagna de proche en proche :
– Les truands ! Les truands ! Les truands !…
Ils apparurent au tournant.
Ils s’avançaient d’une course rythmée, serrés les uns contre les autres, formidable vision étincelante de piques, de haches, de lourdes épées, d’où jaillissait une sinistre clameur :
– Argot ! Argot ! Argot, à la rescousse ! Place ! Place à Argot !…
Combien étaient-ils ? Mille peut-être. Des gens en guenilles, des têtes hirsutes, des visages convulsés, des yeux flamboyants, des bouches tordues qui jetaient le même cri farouche :
– Alcyndore ! Alcyndore ! La reine ! La reine d’Argot !
Ce fut cette clameur que le grand prévôt entendit au moment précis où il allait
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