Le roi d'août
gorge. Fauché en plein élan, il s'effondra sans vie avant d'avoir pu avertir ses camarades. Raoul de Clermont, lui, vit le danger au dernier moment, lança un cri d'alarme et voulut redescendre ; il n'y parvint pas assez vite pour éviter le sort de son prédécesseur – à ceci près qu'il tomba en arrière, heurtant ceux qui venaient après lui, dont plusieurs furent projetés à terre. Consternés, les autres marquèrent un temps d'arrêt, se demandant s'ils devaient poursuivre cette percée aveugle ou changer de tactique.
L'hésitation leur fut fatale : se découvrant bravement, deux Arabes apparurent au bord de la brèche ; aussitôt criblés de flèches, tués net, ils n'en parvinrent pas moins à lâcher une haute jarre emplie de feu grégeois, qui se brisa sur un échelon et inonda d'une grande nappe enflammée des chevaliers instantanément changés en torches humaines. Ceux qui n'avaient pas été touchés refluèrent en désordre, horrifiés par les hurlements de leurs compagnons immolés, dégoûtés par une atroce odeur de naphte et de chair grillée. De toute façon, ils ne pouvaient plus grand-chose dans l'immédiat : tout brûlait, les corps, l'échelle et jusqu'aux parois de pierre ; il ferait nuit avant que la brèche fût à nouveau vulnérable à une attaque.
Philippe et Richard donnèrent l'ordre du repli, d'autant que Saladin lançait comme à son habitude une chevauchée contre le camp – qui ne devait pas plus aboutir que la précédente.
Le soir, les deux souverains soupèrent de mauvais appétit : le coup porté à la Tour Maudite ne compensait pas la mort des chevaliers tombés durant la journée. Le roi de France, à titre personnel, avait perdu deux amis qu'il pleurait sincèrement. En Aubri Clément, il lui semblait sentir son vieux maître Robert mourir une deuxième fois…
Le lendemain, il comprit que ce sacrifice et tous les autres n'avaient pas été inutiles : la garnison demanda à parlementer. Ses émissaires, deux guerriers de haut rang, offrirent aux Chrétiens de leur livrer la ville, avec tous ses trésors, en échange de la vie sauve pour ses défenseurs.
— Cela ne nous convient pas, répondit Richard, qui se rétablissait rapidement puisqu'il était à présent debout. Après tout ce que votre résistance nous a coûté, si vous souhaitez négocier, vous devez nous restituer les terres qui étaient nôtres naguère, nous rendre la vraie croix que vos mains impies profanent, et enfin libérer les prisonniers chrétiens que vous détenez dans vos geôles.
Philippe ne protesta pas. Si les Musulmans discutaient, c'était qu'ils se savaient perdus. On ne gagnerait rien à leur faciliter les choses.
Les parlementaires s'interrogèrent un instant du regard puis répondirent ne pouvoir faire de telles promesses sans consulter Saladin. Laissant les hommes de leur escorte en otages, ils furent donc autorisés à traverser le camp pour rendre visite au sultan. À leur retour, leur visage portait la marque du désespoir mais nullement de la surprise : les âpres conditions du roi d'Angleterre étaient rejetées. Les émissaires regagnèrent donc la ville, résignés à soutenir encore le siège.
Vers la fin de l'après-midi, une flèche se planta dans la toile d'un pavillon du quartier français. Elle s'accompagnait d'un message qui fut immédiatement porté à Philippe alors que, vidé de ses forces, il se préparait à s'allonger pour la nuit. Cette lecture lui rendit son énergie : celui qui signait G confirmait que la garnison d'Acre était démoralisée, presque à court de vivres. Saladin, cependant, prévoyait pour la nuit même une attaque surprise sur le camp des Francs afin de permettre aux défenseurs de s'évader à la faveur de la mêlée.
Philippe dépêcha la nouvelle à Richard et aux autres commandants. Sans attendre leur réaction, il donna des ordres : qu'une importante troupe d'archers soit postée en face des portes d'Acre, afin de prévenir toute sortie ; que les vaisseaux qui patrouillaient au large soient mis en alerte ; que tous les hommes disponibles se rassemblent derrière le remblai du camp et se tiennent prêts.
Ces manœuvres furent exécutées à la lettre, si bien que les Musulmans, surpris quand ils croyaient surprendre, se virent aisément repoussés, après que nombre d'entre eux eurent été massacrés sans avoir seulement pu porter un coup. La ruse des Francs, toutefois, n'expliquait pas seule leur défaite : ils
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