Le roi d'août
Plantagenêt n'étaient plus. À leur place se dressait un homme nouveau qu'il lui faudrait apprendre à connaître, à accepter.
Pour l'heure, son aspect effrayant présentait un avantage : nul ne pouvait ignorer qu'il avait été malade, bien près d'être emporté, et qu'il avait survécu. Son prestige, l'aura de faiseur de miracles qui flottait autour de lui depuis Chinon, s'en trouvaient renforcés.
Peu soucieux d'afficher sa faiblesse, il mit un terme rapide à cette première sortie et retourna s'allonger, satisfait de ce qu'il avait observé : les machines de guerre dont il avait ordonné la construction étaient pour la plupart achevées. L'une d'elles avait même déjà été mise en service contre la Tour Maudite : une pierrière lançant des blocs gigantesques que six hommes ne suffisaient pas à soulever. Sa puissance et son efficacité étaient telles qu'on l'avait surnommée la Malevoisine.
Elle n'était pas seule en son genre : de l'autre côté des remparts, sa sœur jumelle, ou peu s'en fallait, lui répondait de belle manière. Toutefois, les servants de cette Malecousine, comme on l'appelait, postés au niveau du sol, devaient lancer leurs projectiles en aveugles, par-dessus les défenseurs du chemin de ronde, si bien que les tirs s'avéraient souvent plus impressionnants que destructeurs.
L'après-midi, Philippe réunit son conseil afin de faire le point sur la situation – laquelle n'avait pas avancé d'un pouce durant sa maladie, malgré deux assauts lancés contre le camp de Saladin. Les Croisés ne pouvaient guère se vanter que d'avoir, grâce au renforcement du blocus, coulé un navire égyptien venu ravitailler Acre. Les Musulmans, eux, n'avaient pas même de tel succès à s'attribuer.
— Nos hommes sont-ils prêts à reprendre les hostilités, selon vous, messeigneurs ? interrogea le roi.
— Ils brûlent de se battre, sire, répondit le maréchal Clément. C'est l'inactivité, l'attente, qui les rend fous.
Comme Raoul de Clermont, Conrad de Montferrat, le duc Hugues de Bourgogne et quelques autres approuvaient cette déclaration, Philippe eut un large sourire.
— En ce cas, il serait inconsidéré de temporiser davantage : à moins que l'un d'entre vous n'ait une sérieuse objection à faire valoir, nous donnerons l'assaut dès demain.
Les seules objections vinrent des frères de Lusignan, invités là par politesse, en tant que représentants d'un roi d'Angleterre toujours alité. Selon eux, il eût été plus courtois d'attendre que Richard fût lui aussi remis de son épreuve. Chacun comprit qu'ils ne désiraient pas voir l'attaque décidée par le seul souverain français, de crainte qu'il ne s'appropriât les lauriers en cas de victoire. Si son influence devenait prépondérante, son candidat au trône de Jérusalem serait d'autant mieux placé pour l'emporter.
Le duc d'Autriche, Léopold – le plus important seigneur du Saint Empire présent à Acre, avec ce qui restait des troupes de Frédéric Barberousse –, fit alors remarquer que nul ne pouvait prévoir quand le Plantagenêt serait sur pied et qu'aucun homme, même celui-là, ne valait qu'on l'attendît éternellement. Philippe en fut ravi, dispensé de recourir lui-même à cet argument qui régla la question : noyée dans un tumulte d'approbations, l'opposition des Lusignan se vit écartée sans autre forme de procès.
Il s'en fallut de peu que l'histoire ne se répétât. Tandis que la troupe principale conduisait ses engins à l'assaut de la muraille, Saladin, prévenu, lança une nouvelle attaque à revers contre le camp chrétien. Cette fois, cependant, Philippe avait pris soin de laisser en arrière des troupes plus importantes – concentrant par ailleurs ses efforts sur la Tour Maudite. S'il abandonna tout de même la ville pour aller soutenir les siens, ce fut sans précipitation, si bien que les dommages, tant humains que matériels, furent réduits. Au bout du compte, il n'y eut ni vainqueur ni vaincu mais les Musulmans subirent plus de pertes que leurs adversaires, ce qui, après la guérison du roi de France, apporta un soutien supplémentaire au moral des Croisés. La journée du lendemain devait être déterminante.
Philippe, après la bataille, se coucha épuisé. Ses bras, qui n'avaient pas tremblé en maniant l'arbalète ou l'épée, étaient à présent agités de trémulations nerveuses irrépressibles, comme si tous les efforts qu'il leur avait imposés durant la journée
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