Le roi d'août
l'évêque de Beauvais vint le prévenir qu'un Sarrasin n'appartenant pas à la garnison s'était présenté au palais.
— Je l'aurais fait jeter au cachot, déclara le prélat, qui coordonnait ce soir-là la garde, mais il parle français comme un clerc et il prétend avoir des révélations à te faire, à toi et à personne d'autre. J'ai donc jugé préférable de t'avertir. Je l'ai laissé sous bonne garde dans une des salles du bas.
— Tu as eu raison, approuva Philippe, intrigué. On a vérifié qu'il n'était pas armé ?
— Il n'avait qu'une masse, qu'il nous a remise spontanément. Je l'ai fouillé moi-même : il ne dissimule rien.
— Très bien. Allons donc lui parler, puisque cela semble si important.
L'homme d'une trentaine d'années qu'il découvrit entouré de quatre soldats, dans une salle que ses murs épais ne protégeaient pas de l'écho des réjouissances toutes proches, était de taille moyenne mais carré d'épaules. Son visage cuivré s'ornait d'une barbe noire à la mode des Musulmans dont il portait l'habit guerrier. Pas un instant, cependant, Philippe ne douta qu'il s'agît d'un déguisement : dans l'ombre, l'inconnu pouvait faire illusion ; avec une torche éclairant des traits qu'il ne cherchait d'ailleurs pas à dissimuler, il se révélait sans conteste européen.
— Je suis votre humble serviteur, sire, déclara-t-il sans la moindre trace d'accent, en mettant un genou en terre à l'entrée du roi.
— Qui êtes-vous et pourquoi tous ces mystères ? interrogea ce dernier.
— J'appartiens à l'ordre des chevaliers de l'Hôpital. Si vous le jugez absolument nécessaire, avertissez notre grand maître : il confirmera mon identité. Je suis le frère Guérin.
Philippe ouvrait la bouche pour lui demander comment il se faisait qu'on le trouvait dans une telle tenue quand il lui sembla discerner la réponse.
— Guérin, avec un G ? s'enquit-il, insistant bien sur la lettre isolée, un demi-sourire aux lèvres.
— Avec un G, sire, confirma son interlocuteur. Au nom du Père, du Fils et du saint Esprit…
D'un signe de tête, le roi congédia les quatre soldats, ne gardant auprès de lui que son cousin l'évêque et l'Hospitalier.
— Ainsi, c'est vous, notre informateur, lança-t-il. L'homme à qui nous devons la victoire.
Le frère Guérin eut un petit geste de modestie.
— La victoire, vous la devez à la vaillance des vôtres. Si j'ai apporté ma pierre à l'édifice, vous m'en voyez humblement satisfait.
— Quoi ? C'était vous ? s'exclama à son tour le prélat, qui venait de comprendre. Que ne l'avez vous dit tout de suite, sire chevalier ? Je vous aurais épargné l'humiliation des gardes. (Il désigna la porte.) Je réclame le privilège de vous présenter aux nôtres. Entendez-vous ce brouhaha ? Parmi tous ces hommes, il n'en est pas un qui ne brûle de lever sa coupe en votre honneur.
L'Hospitalier secoua lentement la tête.
— Je vous supplie de me pardonner, monseigneur, dit-il, mais c'est justement là ce que je désire éviter. Voilà pourquoi je tenais à ne m'exprimer que devant le roi.
— Seriez-vous modeste au point de mépriser la gloire qui vous revient de droit ? s'enquit Philippe.
— D'une part, sire, j'ai en effet agi par amour de notre Église, et aussi de la terre de France que vous représentez, non dans l'espoir d'une récompense. En outre, j'ai pu vous fournir des informations utiles car nul, dans la ville, ne soupçonnait mon identité ; si je désire continuer à faire quelque bien en attendant que le royaume de Jérusalem soit tout entier revenu entre des mains chrétiennes, il me faut préserver mon anonymat.
— Vous voulez dire que votre grand maître lui-même ignore vos agissements ? persista le roi, de plus en plus étonné.
Les lèvres du frère Guérin s'étirèrent en un demi-sourire.
— Je pense qu'il ne les approuverait qu'à moitié. Son idéal du combat est plus… disons : héroïque.
— Il faut admettre que le vôtre n'est guère banal pour un chevalier. Et pour un clerc, donc !
L'évêque de Beauvais avait lancé la remarque avec bonne humeur, se sachant fort mal placé pour donner des leçons de conduite à un religieux.
— Eh bien moi, j'approuve entièrement messire Guérin, intervint Philippe. Je ne doute pas de ses qualités de guerrier, mais un chevalier de plus durant un assaut n'est qu'un chevalier de plus. Notre ami nous a rendu à sa manière plus de services qu'il
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