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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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n'était qu'un océan de gris et de bruns entremêlés, mais elle disposait dans cet état d'un sens de l'orientation accru qui lui permettrait, elle en était sûre, de se diriger. Rejoindre la chapelle à partir de sa chambre en passant par le sol et les murs, par exemple, ne lui semblait pas poser de problème particulier ; plus tard elle se rendrait compte que même des destinations plus lointaines lui étaient autorisées : pour peu qu'elle eût une idée de l'emplacement à atteindre par rapport à celui où elle se trouvait, la direction à suivre lui paraissait tracée au cordeau.
    Quant à elle-même, elle se voyait également : silhouette grise et brune elle aussi, humanoïde, ne se distinguant du milieu ambiant que par un grain légèrement différent. Une nouvelle fois, l'analogie de la grenouille lui vint à l'esprit : à l'aise à l'air libre, à l'aise dans l'eau. Une grenouille des pierres, voilà ce qu'elle était.
    Ce premier soir, elle ne poussa pas l'expérience plus loin, craignant malgré tout de ne plus être capable de ressortir si elle tardait. Le lendemain, elle fit le tour de l'hôtellerie par les murailles, s'apercevant qu'il lui était possible de sortir très légèrement la tête à l'extérieur afin de savoir si la voie était libre avant de s'avancer dans une pièce. L'idée d'être surprise durant ces explorations l'emplissait de terreur, car ses pouvoirs nouvellement découverts feraient aux moines l'effet de la plus noire des sorcelleries – d'autant qu'elle devait être nue pour les utiliser.
    Le troisième soir, elle acheva de parcourir l'abbaye, n'évitant par discrétion que les cellules. Par la suite, elle s'aventura plus loin, constata qu'il lui était aussi aisé de se déplacer dans la terre que dans la pierre, et ce à une vitesse qui dépassait celle du cheval le plus rapide. Il lui suffisait en fait de vouloir se déplacer pour y parvenir, sans qu'elle eût la sensation de faire un effort.
    Isambour exultait, enfin en parfait accord avec sa nature profonde – et avec la nature tout court ; chaque fois qu'elle pénétrait au sein d'une roche, elle la sentait vibrer à la manière d'un être vivant, elle en recevait des impressions qui, décodées par sa chair transformée, évoquaient presque des réflexions, à tout le moins des émotions. La pierre, la terre vivaient. Pas de la même manière qu'un être pensant, mais elles vivaient. Elles ressentaient. Elles acceptaient ou elle rejetaient.
    Elle, elles l'acceptaient.
    Sa captivité, en outre, n'en était plus une puisqu'elle pouvait se rendre où elle le voulait quand elle le voulait. Sa seule contrainte, si elle désirait entrer en contact avec autrui, était de quitter l'élément minéral à proximité de vêtements abandonnés dont se couvrir. Bientôt, toute peur la quitterait et elle se déciderait à gagner Paris afin de retrouver Philippe. Elle se faisait d'avance une joie de l'observer sans se montrer, de le regarder vivre, d'apprendre à le connaître vraiment. Puis de le rencontrer à nouveau et de le convaincre qu'elle n'était pas un monstre, qu'elle était digne de son amour – mieux : qu'elle pouvait lui être utile.
    Ce fut dans ces dispositions que la surprit au milieu du mois de Marie la nouvelle que le roi de France s'apprêtait à épouser Agnès de Méranie.
    « Comme le doit le père commun de tous les chrétiens, le gardien
de l'ordre sur la terre, en vertu de la plénitude de la puissance
papale et avec l'assentiment de mes frères, je déclare la sentence de
divorce nulle et non avenue, illégale, prononcée contre une femme
ignorante de la langue du pays et sans défense ; les auteurs de cette
sentence n'ont respecté ni le sacrement de mariage, ni les droits du
Saint-Siège, puisqu'elle concernait une reine couronnée, ayant
reçu l'onction, et reconnue de son époux. »
    Arrêt de Célestin III quant au divorce de Philippe
et Isambour

4
    Philippe avait presque été surpris de la réponse positive du duc de Méranie. Berthold IV faisait partie des rares nobles teutons partis en compagnie de Frédéric Barberousse à avoir atteint Acre et participé au siège. Là, il avait pu constater la bravoure du roi de France face à l'ennemi, apprécier la justesse de son jugement. Toutefois, il avait aussi assisté à son départ humiliant. Les premières avaient dû le marquer plus que le second, ou bien la perspective de marier sa fille à un monarque, lui dont le lignage n'était

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