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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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elle savait cette attirance naturelle, comme celle des grenouilles pour les étangs, aussi se rendait-elle presque chaque jour à la chapelle, en dehors des offices, et s'allongeait-elle à plat ventre devant la croix, les bras écartés – ses pieds nus, ses mains et sa joue à même la pierre qui semblait lui communiquer sa résistance tandis qu'elle implorait le Seigneur. Le soir, une fois couchée, sa chandelle soufflée, elle se relevait fréquemment pour jouir du contact de l'élément minéral sur son corps nu, mais le froid l'empêchait de retrouver aussi longtemps qu'elle l'eût désiré les sensations quasi oubliées de son enfance – les sensations ancestrales qu'elle s'était refusées durant tant d'années en occultant ses désirs.
    Naguère, elle rêvait de devenir pierre, ce qui lui serait impossible. Désormais, elle savait que se fondre dans la pierre, dans la terre, voyager par leur intermédiaire, celles de son espèce en étaient capables, le roi l'avait dit. Encore fallait-il qu'elle comprît comment il convenait de s'y prendre, qu'elle retrouvât le bon réflexe. Hormis gagner le cœur de son époux et retrouver place auprès de lui, il n'y avait rien qu'elle désirât plus au monde. Son but, pourtant, soir après soir, se dérobait.
    Ce fut à la chapelle, alors qu'elle ne cherchait nullement à le provoquer, que le déclic eut lieu.
    On était au milieu du printemps. La reine venait d'apprendre par l'évêque de Tournai que le pape avait déclaré valable son mariage avec Philippe. Elle en était emplie de joie : aussi prête qu'elle fût à lutter, à faire preuve de patience, elle avait besoin du pontife ; s'il entérinait le divorce prononcé à Paris, elle n'aurait plus qu'à s'en retourner au Danemark, humiliée.
    De Prime à Tierce, ce jour-là, elle demeura étendue devant le Christ, le remerciant d'avoir si bien influencé son serviteur Célestin. Lorsqu'elle en eut terminé avec les actions de grâces, elle recommença à prier, non pour elle, qui venait de voir exaucer un de ses vœux, mais pour son époux, afin qu'il trouve la sérénité, pour les autres membres du peuple, afin qu'ils trouvent la lumière du Christianisme. Son exultation était telle qu'elle puisa même au fond de son cœur le courage de prier pour Lysamour, afin qu'elle trouve la paix de l'âme.
    Une fraîcheur inaccoutumée, vibrante, délicieuse, envahit lentement ses membres. Toute à ses implorations, elle n'y prit pas garde. Lorsqu'elle s'interrogea enfin sur les raisons de ce bien-être et tourna les yeux vers sa main gauche, elle la découvrit enfoncée jusqu'au poignet dans la dalle comme dans un liquide. Surprise, la jeune femme l'en retira par réflexe, se redressa à genoux, puis se remit debout d'un bond avant de réaliser que son autre main et ses pieds, eux aussi, avaient pénétré la pierre – et que le reste de son corps eût semblé tout à fait capable de prendre le même chemin si des vêtements ne l'avaient maintenu en place.
    Le cœur battant, émerveillée, elle s'accroupit pour presser les doigts sur la dalle, tenter de renouveler le phénomène. Elle en fut incapable : l'instant était passé ; la plante de ses pieds reposait sur un sol frais qu'elle sentait redevenu barrière infranchissable.
    Pourtant, Isambour souriait. Elle n'avait pas mis en doute les affirmations du roi du peuple, mais elle détenait à présent la preuve qu'il disait la vérité.
    À partir de là, ses progrès furent rapides : elle cessa de chercher à réussir pour se contenter d'établir le contact avec la pierre tout en laissant vagabonder ses pensées, en s'efforçant d'être le plus possible elle-même, sans fard. À deux reprises, elle brisa ainsi le barrage rocheux, mais comme la première fois, sa surprise et son appréhension la firent reculer avant d'avoir compris ce qui était en train d'arriver.
    Un soir d'avril finissant, lorsqu'elle se rendit compte que la fusion s'était reproduite, elle se trouvait entièrement à l'intérieur de la muraille.
    Au dernier moment, dominant ses craintes, elle se contraignit à rester sur place, à analyser ce qu'elle éprouvait.
    La pierre, autour d'elle, eût aussi bien pu être de l'air, mais de l'air à la fois doux et frais, au contact d'une sensualité sans pareille. La jeune femme y respirait sans le moindre problème, ou y faisait quelque chose qui équivalait à la respiration. D'une certaine manière, elle y voyait : l'univers autour d'elle

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