Le roi d'août
de son logis celle qui porterait l'enfant qu'elle-même n'aurait jamais, lui procurait un plaisir pervers auquel il ne savait résister.
Il demeura un long moment immobile dans le sous-bois, forçant un sourire crâne sur ses lèvres, puis l'appréhension devint plus forte que l'insolence et il tourna les talons. À présent, il était prêt à affronter les tâches qui l'attendaient.
Une première cérémonie eut lieu en milieu de matinée, celle de l'hommage que venait rendre à Philippe le nouveau comte de Flandre. Baudouin de Hainaut était mort d'avoir été trop bon vivant ; Baudouin de Hainaut lui succédait. Jeune, bien plus énergique que ne l'avait été son père, ce feudataire-là serait un allié de choix, aussi convenait-il de le ménager. Voilà pourquoi le roi avait choisi d'en faire coïncider la visite et son propre mariage : cela lui permettrait d'honorer son hôte par une grande fête sans paraître l'avoir organisée pour le flatter. Une fois que suzerain et vassal se furent baisés sur la bouche, ils entendirent une messe, puis l'on se prépara à un dîner léger : une chasse était prévue dans l'après-midi, tous les participants ayant ordre de laisser Baudouin courir les plus belles pièces. Si possible sans qu'il s'en aperçût.
À cet instant fut annoncée l'escorte d'Agnès de Méranie. On l'attendait la veille au soir, afin que la future reine assistât à la cérémonie de l'hommage, mais une violente averse avait rendu les routes impraticables. Sitôt averti, Philippe quitta la table, suivi de la plupart des convives. Ce fut debout sur les marches du château, entouré de sa cour, qu'il vit pénétrer dans l'enceinte une petite troupe de vingt cavaliers et trois voitures.
Ces dernières abritaient les suivantes et les effets personnels d'Agnès. Elle-même voyageait à cheval, presque en tête de l'escorte, comme si elle avait eu hâte de rencontrer son futur époux. Elle montait en amazone. On devinait toutefois à son port légèrement gauche qu'elle n'y était pas accoutumée et que les étriers lui faisaient cruellement défaut. La fille du duc de Méranie avait le teint hâlé de celles qui préfèrent chevaucher à broder. Son corps souple, élancé, était drapé d'un bliaud du même rouge vif que celui de son voile, sous lequel surgissaient quelques mèches noires échappées de ses tresses.
Ce furent les premières choses que remarqua Philippe : ce teint mat et ces cheveux noirs. Cette femme-là jamais ne lui rappellerait Lysamour, et il eût fallu un caprice du destin aussi cruel qu'improbable pour qu'elle appartînt elle aussi à la race maudite : si tel était le cas, il en viendrait à conclure que les autres familles nobles d'Europe ourdissaient un complot contre lui.
Spontanément, il s'avança au devant de l'étalon blanc qu'elle montait. Quoique ne l'ayant jamais vu, elle ne pouvait ignorer qui il était : elle arrêta sa monture auprès de lui et sauta à terre d'un bond léger.
Il avait plu la veille et durant la nuit, une pluie de printemps chaude mais serrée qui avait laissé sa trace dans la cour du château. Le pied d'Agnès s'enfonça dans la boue, glissa, et la jeune fille perdit l'équilibre. Philippe eut tout juste le temps de s'avancer pour la recevoir entre ses bras, tandis que, poussant un petit cri de surprise, elle levait la tête vers lui.
Elle ne cilla pas. Sans doute le lui avait-on décrit et s'était-elle cuirassée contre l'horreur de ce premier instant, mais enfin, elle ne cilla pas ; elle alla jusqu'à esquisser un sourire. Il lui en fut reconnaissant.
— Eh bien, damoiselle, plaisanta-t-il spontanément. Voilà qu'à peine arrivée vous tombez dans mes bras ? Je gage que c'est de bon augure.
Elle pouffa. Ce fut alors qu'il tomba amoureux : plutôt que de se troubler ou de bredouiller des excuses, elle pouffa – et sans cesser de le regarder dans les yeux. Elle n'avait pas peur de lui. Il y avait dans la manière dont elle le fixait un peu du désir brut exprimé par Ide mais mêlé à trop d'innocence pour qu'il le crût malsain. Il rit avec elle et, dès cet instant, ils furent complices.
Après l'avoir gardée contre lui un peu plus longtemps que nécessaire sans qu'elle parût s'en offusquer, il la souleva de terre pour lui éviter de crotter le bas de ses robes et la porta jusqu'au perron sous les acclamations de la cour.
Comme le dîner reprenait, on disposa des couverts supplémentaires et le comte de Flandre
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