Le roi d'août
céda très galamment sa place auprès du roi à l'arrivante, qui le remercia d'un sourire et d'un compliment bien tourné. Agnès parlait français et, en dépit d'un tempérament un peu fantasque, possédait à la perfection les usages aristocratiques. Son esprit et sa bonne humeur, sans parler de sa beauté, charmèrent instantanément tout un chacun, et en tout premier lieu son futur époux.
— Une chasse ? s'exclama-t-elle, radieuse, quand Philippe lui exprima ses regrets de l'accueillir avec un repas écourté. Que le dîner n'est-il encore plus frugal, sire ? Nous partirions plus tôt.
— Vous aimez donc à suivre les chasseurs, damoiselle ? s'étonna-t-il.
— Les suivre ? (Elle eut un petit éclat de rire.) Qui vous parle de cela ? Je chasserai tout comme eux. (Brusquement, elle rougit et baissa les yeux.) Du moins avec votre permission, sire…
Le roi éclata de rire lui aussi, devant l'enthousiasme et la confusion de sa compagne.
— Ma permission vous est acquise, assura-t-il. Il est rare, cependant, qu'une jeune fille se passionne pour ces jeux violents, d'où ma surprise.
— J'ai toujours accompagné mon père et mes frères à la chasse, expliqua Agnès, soulagée de constater qu'elle n'avait pas fâché son futur époux. Je tire à l'arc aussi bien qu'eux, et il m'est même arrivé de manier l'épieu.
— En ce cas, déclara Philippe, solennel, votre place est indéniablement à mon côté.
Elle baissa les yeux derechef, rougissante mais souriante.
— N'est-ce pas là qu'elle doit être à jamais ? souffla-t-elle.
Sans y penser, il referma sa grande main sur les fins doigts d'Agnès et les pressa brièvement.
À sa gauche, l'archevêque de Reims souriait de toutes ses dents : cette fois, il n'y aurait pas de divorce.
Durant la chasse, il arriva qu'une biche poursuivie par les chiens déboula entre deux fourrés juste devant le groupe principal de chasseurs. Avant que quiconque eût le temps de réagir, Agnès, que nul n'avait songé à informer du favoritisme diplomatique dont devait jouir le comte de Flandre, éperonna son cheval et courut sus. Elle avait demandé et obtenu la permission de se vêtir en cavalier afin de monter à califourchon, arguant qu'elle se voyait mal forcer un sanglier en amazone. Le phénomène n'était pas sans précédent : Ide de Boulogne et une ou deux autres dames suivaient parfois leurs époux à la chasse, et on racontait que, durant sa jeunesse, Aliénor d'Aquitaine ne s'en était pas privée. Toutefois, la chose restait assez rare pour attirer les regards, surtout quand, comme c'était le cas ce jour-là, l'altière chasseresse paraissait aussi à l'aise en selle que le meilleur des chevaliers.
— Agnès ! appela Philippe – en vain, car elle ne l'entendait même pas.
Il voulut s'élancer à son tour puis se rappela la présence de Baudouin et se tourna vers lui machinalement, tiraillé entre le cœur et la politique.
Le sourire du jeune comte de Flandre prouvait qu'il n'était pas dupe des politesses mises en œuvre à son endroit.
— Piquez des deux, sire ! encouragea-t-il, jovial. On ne saurait désormais séparer ces deux biches, et puisque la seconde vous appartiendra demain, il est juste que la première vous revienne aujourd'hui.
Elle lui revint. Agnès et lui la pistèrent ensemble à travers taillis et halliers, excités par la poursuite, radieux, échangeant parfois un coup d'œil brillant, et quand les chiens eurent enfin acculé l'animal, la jeune fille prouva qu'elle ne s'était pas vantée en disant savoir user d'un épieu. Philippe n'intervint que pour donner le coup de grâce, moins par nécessité que par désir de partager l'acte avec sa compagne.
Encore haletants, ils regardèrent la bête agoniser à terre, le pelage couvert d'un sang vermeil, avec les chiens qui dansaient autour d'elle, aiguillonnés par le parfum de la mort. Puis ils relevèrent la tête et leurs regards se croisèrent. Agnès n'eut pas un mouvement de recul quand Philippe, lâchant son poignard, la rejoignit en deux pas, la prit dans ses bras et chercha ses lèvres. Elle les lui abandonna avec ardeur – révélant une science du baiser qu'il soupçonna de ne pas être instinctive. Si elle était forcément vierge, la jeune fille avait peut-être eu quelque page comme instructeur en des jeux innocents. Il ne l'en blâmait pas : après tout, c'était lui qui récoltait les fruits de ces expériences.
Lorsqu'ils se séparèrent, ils
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