Le roi d'août
tâche qui ne vous coûtera guère d'énergie et qui me rendra un signalé service. En échange, je vous jure de tout mettre en œuvre pour convaincre le roi de vous reprendre auprès de lui. S'il me conserve sa confiance, j'ai bon espoir d'y parvenir, mais je le répète : cela prendra du temps. Qu'en dites-vous ?
Isambour médita un long moment sa réponse.
— Retrouver ma place légitime est ce que je désire le plus au monde, déclara-t-elle enfin, mais je ne sais pourtant que vous dire. Les tâches que vous évoquez seraient, j'imagine, de nature à influencer la guerre ou la politique ? (Comme il acquiesçait, elle continua :) En ce cas, pardonnez ma franchise, mais il me faudrait la certitude de votre loyauté envers Philippe pour accepter de vous servir. On a déjà vu de grands barons, et même des archevêques, conspirer contre leur roi.
— Vos scrupules vous honorent, admit Guérin, nullement vexé. Quant à ma loyauté, je n'ai que ma parole à vous offrir, mais considérez ceci : je ne suis ni un grand baron ni un archevêque ; avant d'entrer au service du roi, je n'étais rien, et nul autre maître ne me donnerait plus qu'il me donne. Je n'ai donc aucun intérêt à le trahir. Et cela vaut pour nous tous qui gouvernons le royaume avec lui : il ne nous a pas choisis au hasard. En outre, vous avez les moyens de vous tenir assez au fait des événements pour savoir si les services que je vous demande sont ou non favorables à la France.
Isambour acquiesça. Elle avait également les moyens de surveiller l'Hospitalier et les autres conseillers sans qu'ils s'en doutent et de vérifier qu'ils mettaient bien leurs efforts au service du roi. La perspective de cette tâche, qu'elle s'imposait elle-même, lui rendait déjà un peu de son énergie.
— Je vous donne un accord de principe, déclara-t-elle, mais je me réserve le droit d'accepter ou de refuser chaque mission en fonction de sa teneur.
— Madame, je ne vous en demande pas plus, affirma Guérin, satisfait. À présent, si je veux plaider efficacement votre cause auprès du roi, il me faut tout savoir de vous et de vos relations avec lui, y compris des détails qui pourraient vous paraître choquants. Je regrette de devoir être indiscret, mais…
Isambour le coupa d'un geste impérieux.
— Je comprends vos raisons. Vous raconter ce qui me concerne ne me dérange nullement. En revanche, je laisserai une partie du tableau dans l'ombre, car il est des secrets qui ne m'appartiennent pas.
De Lysamour, de la nature de son époux, elle ne dirait rien : Philippe ne le lui pardonnerait jamais.
— Fort bien, déclara l'Hospitalier quand elle eut terminé. Je ferai de mon mieux. En attendant, je vous conjure de ne rien promettre, de ne rien signer sans m'en parler auparavant. J'imagine qu'au besoin, vous saurez où me trouver. (Il se leva.) À nous revoir, madame. Nous n'aurons pas à regretter notre collaboration, j'en suis sûr.
Il s'inclina respectueusement, comme on le devait devant une reine, puis il sortit sans ajouter un mot. Dès qu'il eut quitté les lieux, Isambour informa ses suivantes qu'elle ne dînerait pas et ne voulait être dérangée de la soirée. À nouveau seule, elle entreprit de se déshabiller. Une sortie de jour représentait un risque, mais elle voulait être à Paris pour assister au retour de Guérin, savoir s'il rendait compte de sa visite, à qui et en quels termes. L'instinct de la jeune femme la poussait à lui faire confiance, mais on n'était jamais trop prudent – et par ailleurs, elle avait envie de sortir, de nager dans la pierre, de voir des gens…
Elle se sentait revivre.
« Qu'elle est belle, ma fille d'un an ! »
Richard Cœur de Lion, à propos du Château-Gaillard.
II
1
Le frère Guérin, peu soucieux de donner l'éveil à Philippe, ne lui demanda pas un entretien particulier pour lui parler d'Isambour. En revanche, dès le conseil suivant, il amena habilement le sujet dans les débats.
— Toujours en ce qui concerne l'image que notre sire doit désormais donner au monde et à la cour de Rome, déclara-t-il après un long exposé, il reste une question en suspens : celle de la reine Isambour…
— Je ne la reprendrai pas ! prévint Philippe sans attendre ses arguments. Et si vous ne désirez pas encourir ma colère, je vous adjure de ne pas chercher à me convaincre.
— Nul ne songe à ce que vous la repreniez, le rassura l'Hospitalier, qui ne songeait au contraire
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