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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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elle vit une forme blanche se dresser sur la rive, sortant du cours d'eau. Une femme, plus petite et plus menue qu'elle-même mais tout aussi blonde – et tout aussi nue, bien sûr : en choisissant le lieu de l'entretien, Lysamour s'était assuré une retraite facile.
    Qu'elle ne se posât pas d'autorité en prédateur inspira confiance à Isambour qui se hissa au niveau du sol et, le cœur battant, sortit du couvert, les mains bien en vue pour montrer qu'elle n'avait pas d'arme. La fille des pierres s'arrêta à une toise de la fille des rivières, prenant grand soin de sentir sous ses pieds une terre nue dans laquelle elle pourrait s'enfoncer sans être gênée par la végétation.
    Un long moment, les deux femmes s'observèrent, aussi gênée l'une que l'autre, semblait-il. Isambour ne pouvait se défendre d'être surprise : elle ne savait trop à quoi elle s'était attendue, sans doute pas à une harpie échevelée, toutes griffes dehors, mais à force d'entendre parler de Lysamour, la terrible et cruelle Lysamour, elle avait imaginé quelqu'un de plus imposant – de plus monstrueux. Elle ne voyait qu'une femme, plutôt petite et menue, avec de jolis seins haut perchés qui n'auraient pas déparé un torse d'adolescente. Pourtant, bien qu'elle parût plus jeune qu'elle-même, la reine savait que sa compagne avait déjà vécu des siècles. Apparemment sans que lui vînt la sagesse.
    — Tu es sa femme ? demanda enfin Lysamour sur un ton à peine interrogateur. Je t'attendais plus tôt.
    — Nous avions dit la minuit. Il me semble que c'est toi qui es en retard.
    La fille des rivières secoua doucement la tête.
    — Non, je voulais dire : bien plus tôt. On a beau me considérer comme une pestiférée, les nouvelles finissent par me parvenir. Je sais depuis des années que tu es des nôtres, et ce qu'il t'a fait. Je pensais que tu viendrais me demander mon aide contre lui. Ensemble, nous aurions pu l'abattre.
    — J'aurais pu l'abattre seule, affirma Isambour. Ce n'est pas pour ça que j'ai voulu te rencontrer.
    — Qu'est-ce que tu veux, alors ? interrogea sa compagne, un peu agressive.
    — Te parler… je crois…
    — Tu crois ? (Lysamour eut un petit rire, puis parut comprendre l'incertitude de la reine.) Oh, je vois… ma réputation de tortionnaire et de meurtrière n'est plus à faire, dirait-on. (Elle haussa les épaules.) J'admets qu'elle n'est pas totalement imméritée mais tu peux te détendre : je n'ai rien contre toi. De toute façon, j'ai renoncé à la violence – et même à la vengeance. (Elle baissa la tête.) J'ai plus ou moins renoncé à tout, en fait. Bien obligée…
    Une brise fraîche soufflait sur la rive. Isambour, partagée entre soulagement et incompréhension, croisa les bras devant la poitrine, se frictionna doucement les épaules. Devant sa perplexité évidente, son interlocutrice reprit la parole.
    — Tu ne sais pas ce qui m'est arrivé ? Non. évidemment, tu ne sais rien, toi : tu vis parmi les humains. Après avoir rendu ton mari au monde, ce jour-là, le roi m'a convoquée et signifié ma condamnation. Il m'a marquée. Pas au fer rouge, rassure-toi, rien d'aussi barbare, mais il m'a marquée de son sceau dans l'esprit des nôtres. Nul n'a le droit de s'entretenir avec moi sans lui en demander auparavant la permission ; ceux que je tente d'approcher sont tenus de s'enfuir, c'est tout juste si je ne suis pas obligée d'agiter une cloche sur mon passage, comme une lépreuse.
    — Je ne lui ai pas demandé la permission de te voir, moi, remarqua la reine. Je ne savais pas qu'il le fallait.
    — Il en a informé tous les autres membres du peuple par l'esprit. S'il ne l'a pas fait pour toi, c'est que l'interdit ne te concerne pas. Je me demande pourquoi.
    Isambour, elle, croyait le savoir. Le roi était sage et bienveillant : il ne voyait sans doute pas l'avenir, mais il en discernait assez les possibles pour, sans intervenir directement, donner ici et là un coup de pouce au destin par des actes en apparence insignifiants ou incompréhensibles.
    — C'est sans doute qu'il n'a pas totalement perdu foi en toi, dit-elle.
    — Je sais que la sentence est provisoire, mais j'ignore combien de temps doit durer ma peine. Cela fait trente-quatre ans, maintenant, et j'en ai assez. Au début, je n'ai pas réalisé ce que cela impliquait : j'ai toujours été un peu sauvage, même à l'échelle des nôtres ; je recherchais rarement de la compagnie. Mais de

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