Le roi d'août
entra le premier, suivi de la fiancée qu'accompagnaient deux dames hennuyères.
— Sire, permettez-moi de vous présenter damoiselle Isabelle de Hainaut, ma nièce, entonna-t-il, mettant l'accent sur le lien de parenté qui l'unissait à la future reine.
L'enfant, à qui l'on avait bien fait la leçon, s'avança vers Philippe les yeux baissés, les mains jointes, et s'agenouilla devant lui comme elle se fût agenouillée devant l'autel. Elle était vêtue en adulte, d'un bliaud rouge au corselet serré, orné de pierreries, par-dessus ses robes de lin brodé. Un chapel d'or finement ciselé maintenait le voile qui couvrait sa chevelure. Cette tenue, loin de la vieillir, mettait en évidence son extrême jeunesse, soulignant sa poitrine étroite et plate, engloutissant son corps minuscule. Elle n'avait rien, vraiment rien de menaçant.
Philippe, ému malgré lui, se pencha et lui prit les mains.
— Relevez-vous, damoiselle, dit-il avec plus de douceur qu'il n'eût cru en détenir. Vous accueillir enfin auprès de moi m'est un grand plaisir.
La petite, tremblante, n'osa tout d'abord pas bouger. Puis lentement, timidement, elle redressa la tête et le regarda. Un sourire spontané, alors, étira ses lèvres fines, tandis qu'une lueur joyeuse illuminait son regard de fillette. Dans ce sourire, dans ce regard, le roi lut qu'avec l'innocence de son âge, elle avait rêvé d'un époux qui fût beau, qui fût fort et doux à la fois – et qu'elle n'était pas déçue. Il comprit qu'il serait désormais son héros. Que, si c'était possible, elle l'aimait déjà.
Comme il lui souriait à son tour, sans nul besoin de s'y contraindre, il sentit disparaître ses inquiétudes de tantôt telles les gouttes d'une pluie d'été sur des pierres brûlantes, Isabelle était petite et fine, elle avait les yeux bleus, et il la savait blonde. En dépit de quoi, elle n'eût pu être plus différente de Lysamour.
La joie ne brillerait peut-être pas toujours entre ces paupières délicates, peut-être abriteraient-elles parfois des larmes, mais jamais elles ne seraient l'écrin de la cruauté ou de la perversité. Cette fille-là, il la verrait grandir, devenir femme jour après jour, et le moment venu, il la prendrait sans crainte, car elle ne se donnerait ni par pitié ni par calcul mais par devoir et par amour. Sur le moment, en tout cas, il en fut convaincu.
Il se tourna vers son parrain, visiblement enchanté.
— Soyez remercié, monseigneur, d'avoir choisi pour moi une épouse aussi charmante, dit-il.
Il n'ajouta pas que sa reconnaissance serait éternelle, mais le comte de Flandre crut pourtant l'ouïr. Cette fois, se disait-il, la cause était entendue : ce petit roitelet lui mangerait dans la main et le laisserait gouverner à sa guise.
L'abbaye de la Sainte-Trinité, voisine de Bapaume, s'élevait au beau milieu des bois, ce qui apportait – enfin – une touche de romanesque à l'entreprise. Ce fût là que, bénis par des évêques de second ordre, entourés d'une assistance réduite où ne se comptait aucun membre influent de la famille royale et, pour tout dire, presque à la sauvette, furent unis Philippe et Isabelle.
À la sortie de la chapelle, brusquement enflammé d'un zèle courtois digne des romans de ce Chrétien de Troyes que vantait tant la comtesse Marie, Renaud s'agenouilla devant la nouvelle reine et jura avec solennité d'être à jamais son chevalier servant. Philippe se demanda un instant si la rivalité qui l'opposait à son ami n'allait pas s'étendre à leurs amours, puis il se désintéressa du sujet : avant que ce Lancelot-là pût conter fleurette à sa Guenièvre, il serait peut-être adoubé, lui aussi marié et fort loin de la cour. Pour l'heure, mieux valait s'inquiéter de problèmes plus pressants, en particulier celui que n'allaient pas manquer de poser des Champenois au bord de la révolte en apprenant le mariage tout juste célébré.
« Anar pose ses vestidura,
nutz en ma chamisa,
car fin'amors m'asegura
de la freja biza.
Mas es fols qui.s desmezura,
e no.s te de guiza.
Per qu'eu ai prez de me cura,
deis c'agui enquiza
la plus bela d'amor,
don aten tan d'onor,
car en loc de sa ricor
no volh aver Piza. »
(Je pourrais aller sans vêtements, nu sous ma chemise, car l a fin'amor me protège de la froide bise. Mais bien fou qui se laiss e ai nsi aller et se conduit sans grâce. Aussi ai-je pris soin de mo i de puis que je la supplie, elle, la plus belle entre toutes, de
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